Les mises en garde des scientifiques Les savants en sont désormais convaincus : le climat change; les températures augmenteront plus vite en cent ans que lors des dix mille dernières années. Des modifications qui peuvent rendre plus vulnérable l'espèce humaine. Jusqu'où les équilibres fondamentaux de la planète vont-ils résister ? Jusqu'à quel point l'homme sera-t-il capable de s'adapter ? Le professeur Paul Crutzen a la pose et le propos modestes. Ce Prix Nobel de chimie avoue que c'est par hasard, alors qu'il travaillait dans les années 60 comme informaticien à l'Institut météorologique de Stockholm, qu'il a été amené à faire une des grandes découvertes du siècle. Contrairement à ce que toute la communauté scientifique croit à l'époque, il établit que la couche d'ozone qui, là-haut, protège les hommes et les plantes des ultraviolets meurtriers du Soleil ne se renforce pas, mais qu'elle s'amincit dangereusement sous l'action des molécules chimiques en provenance de l'activité industrielle. Le désormais célèbre "trou dans la couche d'ozone" est démasqué, mais la nouvelle, en 1970, est tellement stupéfiante que Paul Crutzen garde sa découverte pour lui : "Je n'étais pas chimiste et je me disais que je devais m'être trompé. Il y avait tant de chimistes dans le monde...". Deux ans plus tard - consacrés à des études chimiques à Oxford -, il publie ses travaux. Au même moment, les professeurs Sherwood Rowland et Mario Molina aboutissent à des résultats identiques. Ils obtiendront le Nobel ensemble. L'humanité a échappé au risque majeur que faisait peser sur elle ces molécules invisibles et inodores (chlorofluocarbones et oxydes d'azote) présentes dans les aérosols et toute la chaîne du froid. Malgré le baroud d'honneur de quelques bataillons scientifiques repliés dans la tranchée du scepticisme et les cris de désespoir de la plupart des milieux industriels, la communauté internationale réagit promptement. Un protocole international d'arrêt des gaz tueurs d'ozone est signé en 1987 à Montréal. La couche d'ozone est - en principe - sauvée. Les cancers de la peau ne se multiplieront pas. Et l'industrie chimique ne s'est pas effondrée. "Nous avons eu de la chance, commente Paul Crutzen. Il était très facile d'interdire ces gaz et de les remplacer." Des substituts moins nocifs ont, en effet, été rapidement mis en oeuvre. Mais, aujourd'hui, dans son bureau de l'Institut Max-Plank de Mayence (la Mecque de la recherche allemande), Paul Creutzen est inquiet. Son inquiétude a un nom : réchauffement climatique. D'autres gaz - le gaz carbonique (CO2) et le méthane (CH4) principalement -, en provenance eux aussi de l'activité humaine, ont été identifiés comme les responsables du renforcement de la couche gazeuse qui, comme une serre, garde dans l'atmosphère une partie de la chaleur solaire (sans cette couche, la température de la Terre descendrait aux alentours de -18°C). Mais trop d'épaisseur nuit, et un "effet de serre" trop accentué serait insupportable pour le climat, dont l'équilibre organise toute la vie, humaine, animale, végétale ou maritime. Or, ces gaz " à effet de serre ", à la différence des tueurs d'ozone, sont impossibles à éliminer ou à récupérer. Quant à leur remplacement, il obligerait à une révolution énergétique et technologique copernicienne : le solaire, l'éolien, l'hydroélectrique ou... le nucléaire, à la place du charbon et du pétrole ! " Cette fois, dit Paul Creutzen, le monde ne sera pas à même de réagir aussi rapidement, car les combustibles fossiles, qui sont la force motrice du réchauffement de la planète, sont aussi celle de l'économie mondiale. " Le charbon et le pétrole - les deux tiers de l'énergie que les hommes utilisent à travers le monde pour produire, se déplacer ou se chauffer - sont les principaux responsables des émissions de gaz carbonique. Même chose pour le méthane : il provient pour l'essentiel des nouveaux modes culturaux qui ont permis à l'agriculture d'accompagner la croissance démographique et de doubler, en vingt ans, la production alimentaire. Une production qui devra encore doubler d'ici une vingtaine d'années. La question climatique conduit donc au coeur de l'activité humaine. Si celle-ci, pour la première fois de la très longue histoire de la planète, modifie l'équilibre climatique en l'espace d'un siècle, "un petit clin d'oeil", selon l'expression du Prix Nobel John Holdren, où allons-nous ? L'humanité est, à juste titre, tétanisée par cette perspective. Les 3 % à 4 % de carbone supplémentaire (c'est-à-dire 7 milliards de tonnes environ) que l'homme injecte, chaque année un peu plus, dans l'air vont-ils vraiment suffire à dérégler cette immense machine énergétique, complexe, fragile et encore largement méconnue que constitue le couple océan-atmosphère ? Faudra-t-il arrêter les usines, abandonner sa voiture et se mettre au régime maigre ? "En étant réaliste, estime Paul Creutzen, je dois dire que j'ai plus de raisons d'être pessimiste qu'optimiste. J'ai bien peur qu'aucune mesure importante ne soit prise avant que nous n'ayons une mauvaise surprise." Les premiers indices de la "mauvaise surprise" sont manifestes, même s'ils ne constituent pas encore, au sens scientifique, des "preuves". Il s'agit plutôt d'"un faisceau de convergences". On n'a pas eu le temps - le phénomène n'en est qu'à ses prémisses - de vérifier la tendance sur une longue période. Les scientifiques restent prudents. Pas d'effet d'annonce, donc, sur l'effet de serre, surtout quand on sait que la "variabilité" du climat est un état normal de celui-ci. Certains ont guerroyé. Groupée en commando autour de leur gourou du Massachusetts Institute of Technology, Richard Lindzen, un scientifique de haut niveau dont le journal, New Scientist, estime néanmoins que "les idées sont notoirement difficiles à appréhender", l'école des sceptiques a, pendant une dizaine d'années, contesté la réalité du phénomène, attribuant sans nuance cette "lubie" aux "laissés-pour-compte de la science", dont certains sont ouvertement accusés d'être "manipulés" par le vice-président des Etats-Unis, Al Gore. Leurs arguments n'étaient pas sans valeur et reposaient en particulier sur la rétroaction négative de la vapeur d'eau et les limites des modèles informatiques, "tripatouillés", selon eux. Avec le temps, le progrès des connaissances aidant (la climatologie est une science neuve) et les observations venant progressivement valider les modèles, ils ont peu à peu baissé la garde, enracinant leurs doutes dans les incertitudes qui demeurent (la réaction de l'océan, les courants marins, le comportement des nuages), campant longtemps sur l'idée que, puisqu'on ne pouvait rien conclure définitivement, il ne fallait surtout pas engager l'économie de nos sociétés dans des bouleversements peut-être inutiles. Richard Lindzen considère maintenant qu'il peut s'agir d'un "petit vacillement" dû à une moindre résistance de la nature et concède que, bien que "petit", ce réchauffement ne doit pas "conduire à ne rien faire". Un chercheur respecté comme Michael Schlesinger, de l'université de Yale, pour qui la hausse des températures aurait des effets bénéfiques sur la croissance des plantes et leur capacité à absorber le CO, n'en estime pas moins que "ce serait de la folie de rester les bras croisés". L'école des sceptiques a encaissé un rude coup quand on a appris que l'industrie américaine du pétrole et du charbon finançait les travaux de certains de ses membres, comme Patrick Michaels, le plus farouche lieutenant de Lindzen. Lequel eut cet aveu à l'adresse de ses adversaires : "S'il n'y avait pas d'implications politiques, nous pourrions trouver un terrain d'entente." "On trouvera toujours un scientifique pour demander cinquante ans de plus", estime, avec un brin d'humeur, le géochimiste Jean-Claude Duplessy, dont les recherches en paléoclimatologie dans les glaces du Groenland font autorité. Même son de cloche chez James McCarthy, de l'université Harvard : "Dans le monde de la recherche, le point de vue des sceptiques est marginal. "Les sites spécialisés d'Internet bruissent de débats passionnés à propos des incertitudes sur l'ampleur du phénomène, mais on ne rencontre plus guère de scientifiques qui remettent en cause la réalité de celui-ci. Dans une récente livraison, Business Week en tirait la conclusion : "Désolé, messieurs les sceptiques, les scientifiques ont trouvé le smoking gun [l'arme et la preuve du crime]." Les ordinateurs et les modèles prévisionnels des climatologues ne sont certes pas prophètes. Outils d'expertise, ils rendent cependant tous le même verdict : le réchauffement est là, et bien là, même s'il est encore en partie masqué par la force d'inertie du couple océan-atmosphère, qui freine la tendance à la hausse de la courbe générale. Les gaz d'origine anthropique (humaine) en sont responsables. Quels que soient les inter ou rétroactions qui interviennent, compliquant ou perturbant le processus, ces émissions qui s'accroissent conduisent au renforcement de l'effet de serre, donc au réchauffement. "Personne n'a pu construire un modèle qui ne réponde pas à un accroissement de CO par un réchauffement", assène Hervé Le Teut, du laboratoire de météorologie dynamique du CNRS. Le réchauffement progressera, sur un siècle, à un rythme de dix à cinquante fois supérieur à celui que l'humanité a connu en dix mille ans ; depuis que la civilisation s'est installée dans un climat globalement stable : + 0,5 C ces dernières années, + 1 à + 5°C supplémentaires selon les projections modélisées sur cent ans, contre + 1°C en moyenne par millénaire depuis la fin de la dernière glaciation. Pour Jean-Claude Duplessy, pour James Hansen, directeur de l'Institut Goddart d'études spatiales de la NASA, pour Robert Watson, directeur du département environnement de la Banque mondiale, pour Kevin Trenberth, du Centre national de recherche atmosphérique des Etats-Unis, pour Thomas Karl, du Centre national des archives climatiques américaines, pour l'écrasante majorité du monde scientifique comme pour la masse des agronomes, forestiers ou hydrologues, la hausse des températures est désormais "un fait incontestable". C'est "l'empreinte digital " que le changement climatique a déjà laissée. Depuis que les relevés de température sont fiables, c'est-à-dire depuis un siècle et demi environ, les dix plus fortes moyennes se sont concentrées ces dernières années. Avec 15,4°C, l'année 1995 a battu tous les records. 1996 fut, selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM), "la dix-huitième année consécutive marquée par des anomalies positives de la température". Tout indique que 1997 ne devrait pas être loin du maximum de 1995. "Le coup est parti, ce n'est plus possible de faire la politique de l'autruche", en conclut Jean-Claude Duplessy. Désormais, il n'y a plus deux camps caricaturaux qui s'affrontent sur un futur lointain et largement imperceptible : les incorrigibles zélateurs du progrès d'un côté et les agitateurs de la pensée apocalyptique de l'autre. Il y a une certitude, proche et tangible, ainsi résumée par James Baker, de l'US National Oceanic and Atmosphere Administration : "L'humanité a atteint le point où son impact sur le climat est aussi significatif que celui de la nature." Même diagnostic de Jean Jouzel, climatologue au Commissariat à l'énergie atomique et représentant scientifique du gouvernement français dans les recherches menées par le Groupement intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) mis en place par les Nations unies : "Nous sommes confrontés à un problème sérieux qui va au-delà du principe de précaution." Le "signal" est donné. Aux yeux du profane, il peut paraître faible. Ne sommes-nous pas habitués à des amplitudes de 20°C ou plus selon les saisons ? Mais il s'agit d'une hausse globale moyenne qui accentue les variations régionales et saisonnières. Avec une différence de 5° par rapport à la moyenne du climat actuel, en plus ou en moins, on se retrouve dans des échelles comparables à celles qui ont provoqué les grands bouleversements climatiques de l'histoire géologique. Au maximum de la dernière grande glaciation, les carottages dans les glaces de l'Arctique, qui constitue la grande mémoire du climat passé, révèlent que la température moyenne n'était que de 4 à 5° inférieure à celle d'aujourd'hui. Quand les dinosaures ont disparu, la différence moyenne était de 6 à 7°. Or, remarque Jean Jouzel, "il n'y a pas plus de probabilité de faire plus 1 degré que plus 3". Les équilibres des écosystèmes sont fragiles. La modification, même limitée, du régime des pluies peut changer, ici, un climat sec en désert et obliger, là, à élever des digues. L'origine du réchauffement n'est désormais pas plus discutée que sa réalité : l'homme est coupable, pas la nature. L'immense travail interdisciplinaire qui a été accompli par le GIEC - quatre mille scientifiques internationaux, "labellisés" par leurs gouvernements respectifs, qui ne se sont appuyés que sur des travaux dûment vérifiés et sur des rapports âprement discutés - a été longtemps contesté. En particulier par les sceptiques. Malgré les lazzis, les équipes du GIEC ont continué à aligner courbes et graphiques, observations et données. Et leur travail est désormais admis comme base de discussion par l'ensemble de la communauté scientique comme par tous les gouvernements. "C'est la meilleure évaluation que nous ayons", juge Rosina Bierbaum, conseiller au bureau des sciences de la Maison Blanche. Il aura fallu six mille pages de rapports et des années de discussions parfois contradictoires pour que le GIEC parvienne, en 1995, à affirmer, dans un langage qui reste d'une prudence extrême en raison du télescopage des intérêts économiques et nationaux en son sein, qu'il y a "une influence perceptible de l'homme sur le climat" et que, si aucune preuve décisive ne pouvait encore être avancée, si les connaissances restaient "limitées sur de nombreux processus essentiels", une convergence d'éléments "suggérait" cette influence. En 1990, dans un premier rapport, le GIEC ne relevait qu'un réchauffement "comparable à la variabilité naturelle". Cinq ans de recherches ont permis de franchir un pas très important dans la maîtrise de la connaissance. Cela rend d'autant plus crédible les projections du GIEC : une hausse des températures comprise entre 1°C et 3,5° d'ici 2100, certains scientifiques en son sein allant jusqu'à envisager sérieusement une hausse de 5°. Après avoir décrit un phénomène dont il a identifié la réalité, puis les causes, le GIEC travaille à établir les conséquences régionales du réchauffement. Ce troisième rapport, prévu pour être publié en 2000, est très attendu ; il portera à la connaissance du monde l'état prévisible des lieux soumis au réchauffement. Autrement dit, ce qui va changer dans les écosystèmes terrestres et aquatiques ainsi que dans les secteurs socioéconomiques ; quels continents, quels pays, quelles régions, quelles populations, quels secteurs économiques vont y gagner et lesquels vont y perdre en termes de développement, de santé et de bien-être. D'ores et déjà, le deuxième rapport avertit : "Les divers secteurs de la société doivent s'attendre à être confrontés à des bouleversements multiples et à la nécessité de s'y adapter." Le doublement des concentrations de gaz à effet de serre est inévitable, même si les pays du monde parviennent à stabiliser leurs émissions à leur niveau actuel. Le GIEC a "calé " sa prévision de hausse entre 1 et 3,5°C, avec un scénario moyen à +2°, dans cette hypothèse et dans cette hypothèse seulement. Il ne manque cependant pas d'évoquer que les concentrations seront bien plus importantes (un triplement ou un quadruplement) - et les conséquences d'autant plus dramatiques - si ces émissions continuent de croître à la vitesse actuelle. Les conséquences répertoriées par le deuxième rapport du GIEC - "les plus probables en accord avec nos connaissances", selon l'Organisation météorologique mondiale - font état de tendances générales inquiétantes. "L'intensification du cycle hydrologique global" d'abord, c'est-à-dire la perturbation du régime des pluies avec de plus fortes disparités saisonnières, en particulier sur l'hémisphère Nord, des sécheresses plus fréquentes et plus étendues au nord de la zone subtropicale, des inondations plus violentes et des tempêtes plus nombreuses (ouragans, cyclones, tornades), un renforcement de la désertification dans les zones arides ou semi-arides, des pénuries d'eau plus marquées; "une hausse du niveau de la mer par dilatation thermique et fonte des glaciers" ensuite, entre 15 et 95 centimètres, susceptible de fragiliser plusieurs zones littorales et d'envahir des deltas où les habitations et l'activité économique se sont concentrées (près de la moitié de la population mondiale vit à proximité des océans), voire de condamner des petites îles à une quasi-disparition; "Une modification des écosystèmes et de la végétation" avec des migrations de 150 à 550 kilomètres vers le Nord qui pourraient entraîner des substitutions difficiles ou provoquer des disparitions brutales ; " un risque de recrudescence des maladies infectieuses à transmission par vecteur " tels que paludisme, dengue ou fièvre jaune, imputable à l'extension de l'aire de répartition et à la période de reproduction des vecteurs. Au total, au-delà d'une diminution du PIB mondial de 1,5 à 2,5 points, c'est une vulnérabilité accrue que le GIEC et le stress climatique promettent à l'homme. Sans doute les pays industrialisés trouveront-ils les moyens de s'y adapter, plus ou moins douloureusement. Nul doute en revanche que les pays les plus pauvres, ceux qui sont le plus soumis aux aléas naturels, vont payer la facture. Dans l'hémisphère Sud, là où le rapport à l'environnement naturel, l'eau, les pluies, le sol, les forêts, la mer, est une condition de la survie de tous les jours, des milliards d'hommes et de femmes n'ont pas attendu pour faire l'amère expérience des changements climatiques. L'augmentation des catastrophes naturelles, les déficits chroniques en eau ou la modification du régime des pluies, ils connaissent déjà. L'ensemble de ces phénomènes climatiques extrêmes et parfois contradictoires constituent le témoignage vivant du principe du bouleversement climatique : un dérèglement paroxysmique. Autrement dit, le climat perd la boule. Du moins celui auquel l'humanité était habituée depuis qu'un grand singe a pris rang d'homme à la grande roulette de l'évolution naturelle. Les responsables de l'Organisation météorologique mondiale, premiers inquiets - "plus le temps passe, plus les observations et les indices s'accumulent", estime Michel Jarraud, secrétaire général adjoint de l'organisation -, avertissent que ces dérèglements détectés régionalement peuvent être surestimés par la médiatisation dont ils font l'objet. Force amplificatrice de l'image ou pas, il n'empêche qu'aujourd'hui l'est de l'Afrique est soumis à des inondations meurtrières alors qu'elle venait d'être accablée de sécheresse (le même phénomène s'est produit récemment, dans le sens inverse, en Corée du Nord). Les précipitations ont nettement diminué dans les régions méditerranéennes, au Sahel et autour du golfe de Guinée. Les glaciers des Alpes ont perdu près de la moitié de leur volume et la calotte glaciaire du nord et du nord-est du Groenland fond plus vite qu'elle ne se reconstitue. La température en Sibérie a augmenté de 3°C. Les zones arides ou semi-arides sont plus chaudes sans devenir plus humides. Un cinquième du territoire espagnol est soumis à la désertification. Les provinces du nord de la Chine sont victimes d'une sécheresse persistante. La végétation des zones septentrionales de l'hémisphère nord se développe. Les insectes ravageurs et les champignons pathogènes (chenille processionnaire du pin ou chancre du châtaignier) s'attaquent de plus en plus aux arbres du nord de la France. Le retard de la mousson a permis le développement de grands incendies en Indonésie... La faute à El Nino, aléa climatique "normal" ? Justement. Son intensité et sa fréquence interrogent. Sa puissance destructrice n'est-elle pas aggravée par le réchauffement climatique ? "La question se pose", reconnaît le professeur François Delsol, directeur du programme consacré à la recherche atmosphérique à l'OMM. Un enquêteur du Guardian, David Plotz, a posé la question aux scientifiques. "Certains disent que le réchauffement climatique rend El Nino plus terrible; les autres répondent qu'El Nino rend le réchauffement climatique plus sévère", conclut-il plaisamment. En tout cas, l'épisode 1997-1998 sera probablement le plus violent du siècle. Il avait d'ailleurs été prévu par les modèles des météorologues, ce qui montre le degré de fiabilité auquel on est désormais parvenu. Les autorités indonésiennes avaient été prévenues mais n'ont tenu aucun compte de l'alerte. Même si les indices convergent, nombre d'incertitudes demeurent. Elles ont principalement trait à la rétroaction des océans, des courants, des nuages, de la glace, des systèmes terrestres et marins modifiés ainsi qu'à l'effet parasite des aérosols, gaz, poussières ou cendres qui refroidissent l'atmosphère. Mais la nature du doute s'est déplacée. Celui-ci ne porte plus sur la réalité du phénomène, ni sur son lien avec les émissions de gaz dues aux activités humaines. Ni même sur une série de conséquences prévisibles. Mais sur le degré d'amplitude de celles-ci. Un nouveau débat oppose ceux qui "espèrent" que, dans sa grande sagesse, la nature saura trouver la parade, corrigera ou neutralisera le réchauffement, à ceux qui au contraire "craignent" qu'elle se révolte et n'amplifie le mouvement. Les "optimistes" (en général les anciens sceptiques) misent sur l'océan et ses immenses ressources d'inertie pour "annuler l'effet de serre additionnel" ou du moins l'amortir. L'océan, en effet, avec les "puits de carbone" que sont les forêts, a toujours été le maître régisseur de la concentration de CO dans l'atmosphère. Sur les 7 milliards de tonnes rejetées annuellement par le facteur humain, on sait qu'il en récupère en ce moment au moins deux et les forêts une. Les "pessimistes" s'interrogent. Jusqu'à quand l'océan fera-t-il ainsi le gros dos ? Sera-t-il capable de faire face à une nouvelle augmentation si, au lieu du doublement de la concentration de gaz dans l'atmosphère, on passe à un triplement, voire à un quadruplement ? "L'océan n'est pas nécessairement le grand régulateur que l'on croyait, il ne faut pas compter sur lui pour pomper automatiquement les surplus de CO", explique Jean-Claude Duplessy à ceux qui se satisferaient d'une "vision tranquille". Les paléoclimatologues ont détecté dans les glaces qu'il est susceptible de grands bouleversements en quelques dizaines d'années et qu'à partir du franchissement d'un seuil il a un effet amplificateur. "Le risque est plus qu'un cas d'école", confirme Jean Jouzel puisque ce type de variations rapides a été observé dans le passé. Car la répartition et la régulation du climat s'opère dans l'océan à partir d'une circulation qui transporte, tel un gigantesque tapis roulant, eaux chaudes et courants froids d'un pôle à l'autre de la planète. Le ralentissement plus ou moins fort de cette circulation océanique - à cause en particulier d'un surcroît de pluie dans l'Atlantique nord, hypothèse que les experts du GIEC ont retenue comme plausible dans leur rapport - pourrait constituer la pire des "surprises". Le grand régulateur se mettrait alors à cahoter ou tomberait en panne. Les conséquences seraient imprévisibles. "Au fur et à mesure que les émissions de gaz à effet de serre augmenteront, nous entrerons dans un régime climatique totalement nouveau, sans aucun équivalent au cours du dernier million d'années, insiste Jean-Claude Duplessy. Nous sommes dès maintenant partis vers un grand plongeon dans l'inconnu." Deux chercheurs de l'université de Princeton, M . Manabe et M. Stouffer, ont osé simuler le ralentissement de la circulation océanique. Selon leurs calculs, si la concentration de gaz quadruple, le "tapis roulant" serait cinq fois plus lent et les Etats-Unis connaitraient une hausse des températures de 10°C ! Tout concourt donc à ce que l'augmentation des émissions de gaz soit freinée ou stoppée car, selon la formule de Jean Jouzel, "plus on s'éloigne du climat actuel, plus le risque s'élève". Or on en est loin. Si l'Union européenne, meilleure élève de la classe, parvient grosso modo à stabiliser en l'an 2000 ses émissions à leur niveau de 1990, les Etats-Unis (qui produisent un quart des émissions) sont, selon l'US Agency's Energy, sur une pente d'augmentation de 34 % pour 2010. Le Japon a fait + 8 % en cinq ans, la Chine + 27 % depuis 1990, l'Inde + 28 %, le Brésil + 20 % et l'Indonésie + 40 %. Globalement, l'Agence internationale de l'énergie estime que, si les tendances actuelles se maintiennent, en particulier une forte demande de pétrole, la planète émettra 49 % supplémentaires de gaz à effet de serre en 2010. La marche vers le quadruplement des concentrations dont tout le monde a la hantise serait alors triomphale. A moins qu'elle ne soit interrompue à Kyoto où la communauté internationale a rendez-vous au début du mois de décembre, pour mettre en oeuvre les moyens de réagir. Un protocole de réduction des émissions est au menu. Il soulève polémiques et conflits entre les Etats et entre les Etats et les entreprises. Mais son urgence ne se discute pas. "Le temps est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre", a déjà averti le climatologue Benjamin Santer, un des principaux rédacteurs du deuxième rapport du GIEC. |