Apnée du sommeil : NSA et Sécu, même combat ?

Par Adrien Renaud
Economiste de la santé et journaliste

Rue89 – 25/3/14 – Quiconque ne suit pas correctement son traitement ne sera pas remboursé. Une idée qui semble frappée au coin du bon sens : pourquoi la collectivité devrait-elle payer pour ceux qui ne respectent pas les prescriptions de leur médecin ? S’appuyant sur ce principe simple, la Sécu croyait avoir trouvé une manière innovante de faire des économies. A partir du mois d’octobre dernier, elle l’a testée sur les patients souffrant d’apnée du sommeil, qui ont eu la surprise de voir apparaître un dispositif du nom de «téléobservance».

Pour la première fois en France, la prise en charge des soins était conditionnée au comportement des malades. Pour l’instant, on ne peut pas dire que ce soit un succès. En février, le dispositif qui encadrait ce projet a été suspendu par le Conseil d’Etat en raison de « doutes sérieux sur sa légalité ». Un jugement sur le fond est attendu dans les mois qui viennent.

Alors, saine mesure d’économie ou fliquage intolérable ?

80 millions d’euros d’économies potentielles

Au cœur du débat se trouve un traitement efficace mais particulièrement contraignant : les malades souffrant d’apnée du sommeil doivent dormir avec un appareil de « pression positive continue » qui envoie en permanence de l’air dans leur appareil respiratoire… Comme le raconte ce patient, ce n’est pas une sinécure : le bruit de la machine vous dérange, le masque vous gêne, et votre partenaire a l’impression de «dormir avec un cosmonaute».

La location de l’appareil est prise en charge par l’assurance-maladie et les complémentaires santé. Environ 500 000 personnes en bénéficient, et le montant annuel des remboursements atteint 360 millions d’euros. Mais le ministère de la Santé estime que 20% des patients appareillés n’utilisent pas leur machine, ou pas assez. Les dépenses injustifiées sont évaluées à 80 millions d’euros par an.

Pour tenter de récupérer une partie de cette somme, à partir du mois d’octobre 2013, les machines des patients ont été équipées de cartes SIM. Jusqu’à l’invalidation du dispositif, ces « mouchards », comme les appellent les opposants au projet, transmettaient quotidiennement les données recueillies à un prestataire extérieur. Si, sur une période de 28 jours, le temps d’utilisation de l’appareil était inférieur 84 heures, ou inférieur à 3 heures par jour sur une période de 20 jours, l’assuré devait recevoir un avertissement. Au bout du troisième avertissement, le remboursement devait être divisé par deux. Au bout du cinquième, il devait cesser.

Michel Foucault au pays des apnéistes

En attendant le jugement définitif du Conseil d’Etat sur la téléobservance, ni ses partisans ni ses adversaires n’ont l’intention de déposer les armes. La fédération des Prestataires de santé à domicile, qui représente 16 000 professionnels intervenant chez les patients, défend le dispositif. Jean-Philippe Alosi, son délégué général, assure que le principal objectif est d’aider l’usager à mieux suivre son traitement : détectés plus tôt, les patients qui ont du mal à utiliser leur machine peuvent d’après lui être mieux conseillés. La fédération appelle donc le ministère à tout faire pour «sauver» le mécanisme. Logique : celui-ci a nécessité des investissements non négligeables de la part des prestataires.

Mais du côté des représentants des patients, la mobilisation n’est pas moins forte. Convoquant le «Surveiller et punir» de Michel Foucault, le collectif Coopération patients a rédigé une lettre ouverte [PDF] à l’intention de Marisol Touraine. «En quelque sorte », écrivent les signataires, «vous avez créé l’assurance-maladie conditionnelle». La missive somme la ministre de renoncer à la surveillance des malades, et l’engage à miser sur l’éducation thérapeutique plutôt que sur la répression.

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