La correspondance psychophysiologique
entre l'état de rêve et ses contenus endogènes
Aux yeux des hypnologues américains, la correspondance entre l'imagerie visuelle onirique et la direction des mouvements oculaires rapides est un fait démontré.
En 1961, Howard Roffwarg et William Dement ont comparé l'électro-oculogramme avec la transcription du récit du rêve, recueilli par un expérimentateur qui en analyse l'aspect visuel et fait des prédictions sur la direction des mouvements oculaires correspondants. La comparaison entre les pattems des mouvements oculaires enregistrés et les pattems prédits par l'expérimentateur montre quelques coïncidences frappantes.
Un sujet rêve qu'il monte un escalier de cinq ou six marches, un chat dans les bras, ce qui l'oblige à jeter un coup d'oeil sur chaque marche avant de la gravir. L'examen de l'électro-oculogramme montre qu'il a effectué cinq mouvements des yeux vers le haut, à intervalles réguliers, pendant le rêve (Oniros, 1243, p. 239).
Un autre sujet rêve qu'il tourne la tête pour regarder quelque chose. Il ne la tourne pas réellement, mais le mouvement hallucinatoire de la tête se traduit par un mouvement des yeux identique à celui qui aurait lieu si le rêveur, éveillé, tournait effectivement la tête pour regarder quelque chose (Oniros, BDB n° 1243, pp. 249-250).
Il était donc difficile d'échapper à l'impression qu'il existe une relation intime entre les mouvements oculaires et l'activité visuelle du rêve. Les mouvements oculaires du rêve auraient les mêmes caractères que les mouvements de fixation qui ont lieu pendant l'éveil.
Ces faits sont rapportés par Howard Roffwarg et William Dement comme autant de preuves de la nature hallucinatoire du rêve. Les événements psychiques du rêve posséderaient une telle vivacité, une telle vigueur, qu'ils s'accompagneraient de manifestations physiques, oculomotrices.
«It is evident from this study of REM's during sleep that the dream is both a physiological and a mental process. The correspondance of an on-going dream imagery with the REM's and with the ocular quiescent gaps between REM bursts furnishes evidence that the dream is a continuous phenomenon, not merely a series of interrupted "packets" of imagery. The dreamer is deeply involved as a participant observer in the experience almost as if he were awake.» (p. 256).
Cf. Roffwarg (Howard P.), Dement (William C.), Muzio (Joseph N.) et Fischer (Charles), «Dream Imagery : Relationschip to Rapid Eye Movements of Sleep», Archives of General Psychiatry, New York, vol. 7, oct. 1962, pp. 235-258. (Oniros, BDB, n° 1243)
Mais, selon Claude Debru, l'imagerie onirique ne peut être la seule cause des mouvements oculaires. L'existence de mouvements oculaires en dehors de l'imagerie [?] montre bien qu'il s'agit d'un mécanisme physiologique. Mais si l'image n'est pas la cause du mouvement, William Dement soutient cependant qu'il y a une correspondance entre le rêve et le mouvement oculaire (Oniros, 1242).
Conscient des difficultés qu'il y a à poser le problème en termes de causalité, Dement le pose en termes de parallélisme. A ses yeux, la correspondance entre l'imagerie visuelle et la direction des mouvements oculaires est un fait bien démontré.
Un autre exemple frappant rapporté par William Dement est celui d'une expérience dans laquelle le sujet a été réveillé après une longue séquence de mouvements oculaires caractérisée par un changement régulier de la direction du regard. Le sujet raconta qu'il avait assisté en rêve à un long échange de balles dans un match de ping-pong ! (cf. Alexander Borbély, Les secrets du sommeil (Oniros, 17).
Cet exemple est rapporté en détail par William Dement & Christopher Vaughan dans leur ouvrage The Sleep Solution, Delacorte Press, New York, 1998. Ouvrage republié en 1999 sous le titre The Promise of Sleep, Dell Books, New York, puis traduit en français par Claude-Christine Farny et publié aux éditions Odile Jacob sous le titre Avoir un bon sommeil, Paris, 2000.
La version anglaise
The eyes offer a window into the brain during REM sleep. The unparalyzed eyes reveal that the brain is reacting to the dream scenes in essentially the same way it would if the dream were real. Once, when we were recording a man in REM sleep, we saw his eyes dart back and forth, left to right and back again in a rhythmic fashion 26 times. This was so unusual that we immediately woke him up and asked what his dream was about. He told us that he had been sitting by the table watching a Ping-Pong game between his brother and a friend, following the ball back and forth while they battled trough a long volley.
In this instance, we duplicated the event in the real world. We recorded his eye movements while he sat in the same place and watched two players we recruited hit the ball back and forth 26 times. The electrical patterns generated by his movements as he watched were identical with the pattern we had recorded during his sleep. (pp. 300-301) (Oniros, BDB, n° 1263)
Version française
Les yeux ouvrent une fenêtre sur l'esprit pendant "le sommeil paradoxal" [le sommeil MOR]. L'activité oculaire révèle que notre cerveau réagit aux scènes rêvées comme si elles étaient bien réelles. Un jour où nous enregistrions "le sommeil paradoxal" [le sommeil MOR] d'un homme, nous avons vu ses yeux passer alternativement de gauche à droite, de droite à gauche, vingt-six fois de suite. C'était tellement inhabituel que nous l'avons réveillé pour lui demander de quoi il rêvait. Il nous a dit qu'il était à la place de l'arbitre pendant une partie de ping-pong opposant son frère à un ami, et qu'ils venaient d'avoir un long échange. Nous avons ensuite renouvelé l'expérience «pour de vrai» avec le même homme assis à la même place et deux joueurs recrutés pour l'occasion. L'homme avait des électrodes près des yeux, les joueurs ont échangé vingt-six balles, et le tracé dessiné par notre enregistreur était parfaitement identique au précédent, fait pendant le sommeil de l'homme. (pp. 296-297).
Un peu plus loin, les auteurs écrivent :
Version anglaise
We observed another subject in REM sleep as his eyes were fixed straight ahead, stayed motionless for a number of seconds, and finally made a quick motion up and down. We woke him right away, and he said that he had been sitting in a balcony seat, watching the violinist Isaac Stern perform on stage (eyes fixed straight ahead), until someone stood up in front of him, blocking his view (eyes look up and down). Other sleep researchers interested in the topic have re-corded similar results.
Years of experimentation strongly suggest that in REM, the brain is acting very much as it does in waking life, sending out signals to move musc1es in response to the scenario that is being played out in the dream. Even though the eyes are not receiving real images from the outside wor1d, the brain orders them to move, to scan a scene that actually exists only in the mind. Signals to the rest of the body, as I've said, are mostly blocked at the spinal cord so that we don't move our limbs. To certain parts of the brain, there is no difference between waking life and dreaming life. When we are dreaming of eating or fighting or thinking, the brain is sending out the same signals it would if we were awake and eating or fighting or thinking. In a way, all perception is dreaming. The sole difference is that in dreams what we experience is limited only by the brain itself and not organized and driven by sensory input from the outside world. This idea is summed up nicely by my colleague Stephen LaBerge : «Dreaming is perception unconstrained by sensory input, and perception is dreaming constrained by sensory input.» (p. 301)
Version française
Une autre fois, en observant un volontaire plongé dans le "sommeil paradoxa"l [l'état de rêve], nous avons vu ses yeux s'immobiliser pendant quelques secondes puis bouger de bas en haut. Reveillé, l'homme nous a raconté que dans son rêve il assistait à un concert donné par Isaac Stern (yeux fixes) quand son voisin de devant s'est levé, lui masquant le soliste (mouvement de bas en haut). D'autres chercheurs intéressés par le sujet ont fait état de résultats similaires.
Des années d'expérimentation permettent de penser que pendant le "sommeil paradoxal" [l'état de rêve] le cerveau se comporte tout à fait comme à l'état de veille, envoyant des messages yers les muscles en réponse au scénario qui se déroule dans le rêve. Même si les images reçues par les yeux ne proviennent pas du monde extérieur, le cerveau commande aux yeux de détailler la scène. Les influx envoyés vers d'autres parties du corps, je l'ai déjà dit, sont presque systématiquement bloqués au niveau de la moelle épinière. Pour certaines parties du cerveau, il n'existe aucune différence entre vie réelle et vie rêvée. Les signaux envoyés sont les mêmes, quand nous mangeons, nous battons ou pensons pendant notre sommeil ou en réalité.
D'une certaine façon, percevoir c'est rêver. La seule différence c'est que dans les rêves ce que nous vivons est limité par le cerveau et n'est ni organisé ni déterminé par monde extérieur. Cette idée a été joliment résumée par mon collèguer Stephen LaBarge [LaBerge] : «Rêver c'est percevoir sans la contrainte d'"intrants extérieurs" [de stimuli sensoriels], percevoir c'est rêver avec la contrainte des "intrants extérieurs" [stimuli sensoriels].» (p. 297)
Note RR : M.O.R. pour Mouvements Oculaires Rapides (REM, en anglais).
|