Analyse du concept de solidarité

et, par extension, de celui de solidarité internationale

 

Par Laurence Beltran

Enseignante de français au Collège Jean Macé à Mulhouse

1) Définir la "solidarité"

Référons-nous tout d'abord à un dictionnaire de langue pour avoir une première approche de ce qu'est la "solidarité" .
Apparu en 1693, ce nom commun féminin concerne tout d'abord le domaine juridique, et désigne le "caractère solidaire d'une obligation", c'est-à-dire "ce qui est commun à plusieurs personnes, de manière que chacun réponde de tout".
Cette idée de "répondre en commun l'un pour l'autre d'une même chose" est reprise ensuite dans le langage courant; on utilise ce terme, nous précise le Petit Robert, lorsqu'on parle de "personnes ayant conscience d'une communauté d'intérêts, qui entraîne, pour les unes, l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance"; c'est ce sens que nous retiendrons pour notre mise au point sur la notion dans le cadre de l'EEAD (Education à l'Environnement Et au Développement); "esprit de corps, "association", "entraide" et "mutualité" sont donnés en synonymes. Puis le mot a également été utilisé dans son sens abstrait, dans le sens positif de "dépendance".
Dans le cas qui nous intéresse, la "communauté d'intérêts" est bien évidemment la préservation de la planète et le respect de la vie qui a pu s'y développer, quelle qu'en soit la forme, végétale, animale ou humaine; en outre, la définition insiste également sur l'aspect "moral" de la solidarité : il s'agit premièrement de "ne pas desservir" autrui, c'est-à-dire de ne pas dépouiller les uns au profit des autres, ne pas gaspiller les ressources et ne pas dégrader l'environnement ; mais il s'agit aussi d'un engagement à prendre pour "porter assistance" aux plus démunis ou aux plus fragiles.
La solidarité serait donc cet élan humain généreux et spontané qui consiste à gommer les inégalités, les injustices ou les catastrophes naturelles, c'est-à-dire à rétablir la justice là où elle fait défaut; d'où l'impôt dit "de solidarité", un prélèvement obligatoire chez les plus nantis, censé compenser un manque de moyens auprès des plus démunis (ce qui prouve ipso facto que la société n'arrive pas à se réguler d'elle même uniquement par "obligation morale"). Ceci relève de la solidarité "de proximité", c'est-à-dire concernant notre propre pays ou notre environnement immédiat.
France Inter a récemment proposé une émission de réflexion autour de cette même notion, et a justement souligné cet aspect de "recherche d'une plus grande égalité dans la société"... sans que cette dernière puisse toutefois réellement y parvenir... Il s'agissait là de "solidarité" internationale du fait de l'actualité, mais on voit que le problème de fond reste le même : aider ceux qui en ont le plus besoin.

2) la solidarité ponctuelle

2-1) la solidarité ponctuelle nationale

La solidarité est surtout visible, dans nos sociétés de consommation où chacun a tendance à "zapper" (et par là même, à oublier) très rapidement d'un événement à l'autre, soit à certaines périodes ou saisons, soit lors de "rituels" institutionnalisés : c'est le rappel que notre pays dit "riche" compte néanmoins de nombreux sans abri, lorsque le thermomètre descend ; c'est la mucoviscidose, pour laquelle les Français se mobilisent en fin d'année afin d'aider la recherche (Téléthon) ; ce sont des concerts qui sont organisés, pour aider les Restos du coeur ou les CD enregistrés pour financer la recherche contre le SIDA (Sidaction) ; ce sont les collectes d'aliments pour redistribuer à ceux qui sont dans le besoin ; cette solidarité au coup par coup et "en pointillés" n'est pas à négliger : les dons, en argent ou en nature, sont souvent spontanés et même si, comme le faisait remarquer France Inter, "les raisons de cet élan ne sont pas toujours pures", il n'en demeure pas moins qu'il a le mérite d'exister, "il est important qu'il y ait une humanité solidaire" (Ibid.)
Mais la solidarité ponctuelle ne s'exerce pas que dans les limites de l'hexagone : elle dépasse largement nos frontières lorsque des catastrophes naturelles ou des conflits humains affectent les hommes quelque part sur la planète, pour constituer la "solidarité internationale".

2-2) La solidarité ponctuelle internationale

C'est celle qui se met en place lorsque des événements malheureux (et lointains), largement relatés et exposés au monde entier par les médias, viennent troubler notre quotidien, et nous font prendre subitement conscience de notre fragilité dans ce monde ; les exemples ne manquent malheureusement pas : c'est le Tsunami en Asie, qui a évincé les combats au Darfour, qui eux-même ont gommé la guerre en Irak, qui, elle aussi, a fait oublier les conflits en Afghanistan, qui...
Ce sont des cartes de voeux dont les bénéfices vont soulager le quotidien d'enfants déshérités dans le monde (UNICEF) ; c'est la "semaine de la solidarité internationale" qui a été instituée; c'est un concert à l'initiative de plusieurs chorales, dont les bénéfices viendront en aide aux victimes du tsunami ; ce sont des élèves qui organisent une collecte pour l'achat de vaccins pour des enfants du Tiers Monde ; c'est, aussi, une chaîne de solidarité, aide morale destinée à s'unir pour partager la souffrance d'autrui (ou se donner bonne conscience à peu de frais, sachant que ces actions sont rarement portées à la connaissances des victimes auxquelles elles sont destinées...).
Le problème, naturellement, mentionné également par les médias, est que cette solidarité a parfois bien du mal à s'exprimer sur place : logistique défaillante, conflits et dangers, détournements de l'aide, voies de communications bloquées... C'est pourquoi on peut raisonnablement estimer qu'il est nécessaire qu'un réseau de "solidarité durable" soit également mis en place dans tous les endroits où les besoins sont criants, non seulement pour aider, mais aussi pour former, éduquer... ce qui nécessite beaucoup plus d'investissements en terme de temps, mais permet également à la population locale de participer pleinement à l'amélioration de son quotidien et de ne pas la transformer en assistée. Cette solidarité est également plus efficace car ses acteurs connaissent mieux le terrain où elle s'exprime.

3) La solidarité durable

3-1) La solidarité durable de proximité

Elle se retrouve dans toutes les villes, et même maintenant dans les campagnes ; elle procure repas, logis, suivi médical, aide aux devoirs, conseils d'hygiène, écoute aux personnes seules, réinsertion aux jeunes en difficulté ou en rupture par le travail et l'entraide, formations professionnelles, emploi ; il s'agit souvent d'associations qui fonctionnent grâce à une part importante de bénévolat ; mais on pourrait citer également les "SEL" (Système d'Echange Local) qui, puisqu'ils fonctionnent sur le principe de l'échange de services, ne sont pas réservés à ceux qui peuvent traditionnellement consommer car solvables. On peut encore citer la solidarité entre générations, ou pour les personnes handicapées.

3-2) La solidarité durable internationale

C'est celle qui est engagée par des organismes de renommée mondiale qui ont fait leurs preuves depuis longtemps ; ils sont sur le terrain, les acteurs principaux en sont les populations locales, auxquelles une aide éducative et / ou logistique est apportée de façon durable par quelques Français en mission.
C'est par exemple l'UNICEF, présente en Inde depuis plus de 25 ans, Médecins du Monde... On comprend mieux alors pourquoi l'Inde a refusé l'aide internationale lors du Tsunami : elle avait déjà sur place, et depuis longtemps, un partenaire qui connaît parfaitement le pays, ses besoins et qui sait y répondre.
On peut également mentionner ici les organismes de commerce ou de tourisme "équitable" ou "solidaire", dont l'objectif premier est la rétribution à sa juste valeur du travail de chacun dans le cadre des échanges nord - sud, sans recherche systématique de profits toujours accrus pour les pays les plus riches.

4) Les organismes de solidarité

Nous prendrons, comme nous l'avons mentionné dans l'introduction de cette réflexion, le terme de "solidarité" au sens large, c'est-à-dire "entraide à autrui". Chacun des organismes ci-dessous est mentionné dans les pages jaunes, et se retrouve dans toutes les régions et presque toutes les villes de France.

4-1) Solidarité de proximité/nationale

Emmaüs Communauté de l'abbé Pierre, Secours Populaire, Secours catholique, Restaurants du coeur, Mission Locale, AGIR (personnes sans emploi), Alcooliques Anonymes, Armée du salut, SOS Femmes battues, SOS Femme enceinte, Association d'aide aux personnes âgées, Association pour l'enfance inadaptée, Donneurs de voix, Espoir (aide aux victimes), Banque alimentaire, Planning familial, Relais bébé, SOS Amitié, Terre des hommes France, ADIL (logement), Maison du droit, SEL (Système d'Echange Local), centres socio-culturels, MJC, Associations (de quartier), Infos Jeunes, ... Sans oublier cette "solidarité invisible", répertoriée nulle part, et faite de l'aide ou du soutien quotidien que chacun peut apporter à son voisin ou à toute personne en détresse ou en difficulté (prisons, hôpitaux...)...

4-2) Solidarité internationale

UNICEF, Terre des Hommes, Gramee Bank (initiatrice du micro-crédit), Plan International, Croix Rouge, Médecins sans frontières, Médecins du Monde, ADT Quart Monde, LSF (lunettes sans frontières), Accueil des demandeurs d'asile, Artisans du monde, Ecoles du désert, Amnesty International, Enfance et Partage, Action contre la faim, taxe Tobine, Fondation de France... Pour le tourisme : La Balaguère, Vagabondages, Vents du Sud Solidarité Développement (pour le tourisme "équitable" et "durable")... Aide aux projets : CEFODE.



 

Altermondialisme et solidarité


Belem versus Davos : De quel côté penchera la Terre ?

 

par Hans Lefebvre

 

AGORAVOX - 3/2/2009 - Forum social mondial à Belem (Brésil) et Forum économique mondial de Davos (Suisse) se sont déroulés parallèlement sous des latitudes si opposées, comme un reflet parfait de ces mondes que tout sépare. D’un côté tout ce que compte la planète d’altermondialistes et de l’autre tout ce que le globe peut réunir en matière de décideurs économiques et financiers. L’un s’est déroulé dans la chaleur tropicale exubérante d’un Brésil coloré et bigarré, alors que l’autre se tient chaque année dans le silence blanc et feutré d’une Suisse coffre fort du monde. Outre ces différences symboliques fortes, comment ne pas constater combien la ligne de fracture qui délimite les deux univers n’est pas en mesure de se réduire tant les deux modèles proposés sont incompatibles. Mais alors, si la terre devait pencher, de quel côté son axe de rotation inclinerait-il ?

Ils étaient environ 100 000 participants réunis à Belem pour ce 9e Forum social mondial alors qu’ils étaient 2500 à participer au 39e Forum économique mondial de Davos, réunion annuelle des «grands de ce monde». Si la loi du nombre est déjà clairement établie en faveur des altermondialistes réunis en pleine Amazonie, force est de constater qu’il est inversement proportionnel aux richesses détenues par les participants rassemblés dans les montagnes grisonnes. Pour autant, un sujet était commun, imposé par l’actualité des mois écoulés, soit l’expression massive depuis le krach financier de septembre 2008 d’une crise qui fait désormais loi pour toute la planète, même si les nations occidentales se voient d’autant plus fragilisées car disposant d’un volant de croissance bien moindre en comparaison des systèmes économiques des pays émergents.
Les deux rassemblements ont pris fin ce dimanche 1er février avec des conclusions diamétralement opposées, même si les participants au Forum helvète se sont fait bien moins triomphants qu’à leur habitude, prônant la moralisation du capitalisme financier tout en rappelant son indiscutable suprématie. De leur côté, les altermondialistes ont clôt leurs travaux sous la forme de 22 assemblées générales dont les conclusions s’apparentent à une condamnation sans équivoque du système dominant actuel, constatant son échec cuisant et les dangers absolus vers lesquels il conduira inéluctablement. Même si les contributions de chacun ne feront pas l’objet d’un texte synthétique, il en est un que tout le monde pourra retenir, signé par un conglomérat de réseaux intitulé « mettons la finance à sa place ». Il résume parfaitement la philosophie des participants à la rencontre en terre brésilienne. Ce texte propose huit pistes de réflexion et d’action afin de nettoyer le système financier planétaire de tous les abus qui l’ont alimenté et perverti, pour aboutir à la crise systémique que nous connaissons aujourd’hui. Par ailleurs, les tenants de l’altermondialisme ne se sont pas privés de fustiger le vide sidéral du Forum de Davos qui ne fait aucune proposition concrète, si ce n’est de proposer de graisser les rouages de la finance par un peu plus de morale et d’État, autant dire un comble pour un Forum qui se veut l’apôtre du capitalisme depuis bientôt quarante années.

Les altermondialistes proposent l’abolition des paradis fiscaux et des fonds spéculatifs ainsi que la mise en place de mécanismes de contrôle financier drastiques, tout en établissant un véritable système monétaire international. Soit les mécanismes d’une finance alternative accouplés à une alterfiscalité afin de lever beaucoup plus de fonds pour financer le développement des pays les plus pauvres.

Mais Davos est là, pas encore enterré, les puissants de ce monde ne l’entendent pas d’une même oreille partageuse. Pourtant, un semblant d’humilité de rigueur aura conclu la réunion de Davos et c’est le moins que l’on était en droit d’attendre. D’autant que Frédéric Lelièvre, journaliste pour «Le Temp», ne manquera pas de rappeler que lors de la précédente édition du Forum économique de Davos, Jacob Frenkel, un des vice-présidents du géant de l’assurance AIG, pérorait en affirmant que les fondamentaux de l’économie étaient «sains» ! Il en coûte aujourd’hui au contribuable américain 85 milliards de dollars, une addition aux dimensions vertigineuses, notamment si on l’éclaire à la lumière des 100 milliards de dollars annuels versés au titre de l’aide publique au développement.
Recapitaliser les banques, tel était le mot d’ordre répété à l’envie lors des débats alpins ; il en va de la pérennité du système constataient les participants dans les salons (cal)feutrés de la station Suisse, même si cela doit se faire à la faveur d’un mécontentement social dont ils oublient bien rapidement qu’il pourrait se muer en véritable révolution globale incontrôlable. Mais l’incertitude planait encore largement dans les méandres d’un système victime d’une secousse tellurique dont les répliques ne sont pas à exclure.

Pour autant, aucun bouleversement, si ce n’est une orientation incontournable vers les pays émergents faisant office de bouée de secours pour les naufragés du Titanic de la finance qui vient de se fracasser contre l’iceberg de la cupidité. Mais, au fond, ils ne rêvent que d’assembler un autre navire du même genre, plus grand encore, puisque devant inclure les nations en devenir. Nul doute que la Suisse saura faire une place plus grande sur ses sommets enneigés à la nouvelle élite économique des pays émergents, juvéniles complices du système économique dominant. Mais, qu’en sera-t-il l’année prochaine lors de la quarantième édition ? Bien fin qui pourra le deviner tant la planète capitaliste donne de la gîte alors que la météorologie économique mondiale annonce un avis de tempête persistant pour les mois à venir.

En attendant, les altermondialistes reprennent vigueur et se projettent dans l’avenir comme force de propositions radicalement différentes, et non plus seulement comme mouvement d’opposition au système hégémonique capitaliste. Ils organisent désormais une résistance constructive en s’opposant à la domination du G20 qui se met en place progressivement, dont la prochaine réunion se tiendra le 2 avril à Londres, mère du capitalisme moderne autrefois triomphant, mais aujourd’hui agonisant.

Un autre monde est indispensable pour la survie de l’ensemble du genre humain, la planète, au sens écologique, l’exige haut et fort, faut-il être sourd pour ne pas l’entendre ? La gestion écologique, au sens premier du terme, s’imposera car la planète, et tout ce qui la compose, n’est pas un simple gâteau à partager, mais plutôt un jardin que chacun devra cultiver avec la plus grande attention responsable si on souhaite persister sur cette sphère. L’arrogance occidentale serait bien inspirée de méditer cet « appel pour bien vivre » lancé par les peuples Indigènes réunis à Belem qui mesurent avec une acuité remarquable combien notre modèle est en fin de vie.

Dés lors, sans équivoque possible, la Terre penchera vers Belem, ce petit coin du monde situé au cœur de l’Amazonie, son poumon en voie de disparition.

 

 

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