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Voir aussi la Formation à l'onirologie (Histoire du rêve, cours n° 1)
LE RÊVE DANS LE CHRISTIANISME
Par Patrick Bertoliatti *
Les rêves dans le Nouveau Testament
«Saint Jérôme dans son étude», National Gallery, Londres.,
Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique Source Wikipedia
Ce qui est mis en cause par saint Thomas d'Aquin, ce n'est pas l'utilisation des rêves pour s'orienter dans la vie, mais la façon dont ils sont obtenus en vue d'être utilisés à cet effet. La question fondamentale est donc de savoir quelle est l'origine des rêves. Et cette question rejoint celle du «discernement des esprits».
Les rêves et la spiritualité chrétienne
Dans la tradition spirituelle chrétienne, ce que l'on on appelle «discernement des esprits» (principalement les pensées et les sentiments qui nous traversent, mais aussi les rêves), doit permettre de distinguer ceux qui viennent de Dieu, jusqu'à discerner ceux qui sous 1'apparence d'un bien sont en réalité la porte d'accès à de mauvais penchants. On retrouve cette pratique très tôt dans le monachisme ancien. Pour Évagre le Pontique (346-399) par exemple, la rencontre de Dieu se fait à travers l'Ecriture, mais aussi à travers nous-mêmes, et se vérifie jusque dans nos rêves. Pour rencontrer Dieu selon Évagre, il faut se rencontrer, devenir vraiment soi-même, et pour cela il faut atteindre l'apatheia (4), qui désigne l'absence de souffrance, le calme et la tranquillité de l'âme, et qui suppose la transformation en profondeur de l'esprit, jusqu'à l'apaisement de toutes ses images intérieures. Évagre conseille donc aux moines de tenir la garde de leurs pensées et de leurs rêves car selon lui «les preuves de l'apatheia nous les reconnaîtrons, de jour aux pensées, et de nuit aux rêves.» Mais outre leur rôle dans le «discernement des esprits», les rêves jouent aussi un rôle important dans les actes des martyrs. Selon la tradition populaire, les martyrs étaient en effet censés être gratifiés de rêves qui leur permettaient de voir les événements futurs. C'est par exemple en rêve que Polycarpe de Smyrne, disciple de saint Jean, voit l'annonce de sa mort sur un bûcher. De même le récit du martyr de Félicité et Perpétue comporte une série de rêves qui montrent leur destin. La connaissance de ce qui leur apparaissait en rêve était pour eux comme un destin voulu par Dieu auquel ils ne sauraient se soustraire. Et ils l'acceptaient. Chez les saints aussi, les rêves ou songes, sont présents. Saint Jérôme attribue à un rêve sa conversion. Saint Pacôme prend conscience de sa vocation monastique dans un rêve. Saint Benoit communique en rêve à ses disciples le plan de leur couvent. Un songe décide de la vocation de Saint François d'Assise, et un autre songe convainc Innocent III d'approuver la règle franciscaine. La légende veut que la mère de saint Dominique ait eu un rêve présageant la vie du saint. On connaît aussi l'importance des rêves de sainte Monique, la mère de saint Augustin.
En guise de conclusion
Il y a toujours eu, il y a et il y aura sans doute toujours des mises en garde vis-à-vis de I'utilisation des rêves. Ce n'est peut-être pas un mal. En tout cas, il pourrait être intéressant de se demander si tout rêve doit être pris en compte, et pourquoi. C'est plus particulièrement vrai dans le monde "psy" où souvent tout rêve semble bon à travailler. Est-ce si sûr ? Toute image qui me traverse est-elle bonne à suivre ? Faut-il réellement dialoguer avec tout ce qui traverse mon esprit ? Cela me conduit-il obligatoirement à la santé psychique ? A une vie plus saine ? ... * Article publié dans la revue 3e millénaire, n° 110, décémbre 2013, pp. 50-51. Voir aussi le site de l'auteur. — Notes de Roger Ripert
1. Voir «La répression du rêve», in Le Livre des rêves, Roger Ripert, Sylvain Michelet, Nicolas Maillard, Ed. Albin Michel, 2000, pp. 54-60. Voir aussi, sur la site Oniros, Psychosociologie du rêve, par Roger Ripert. 2. VULGATE DE SAINT JÉRÔME (391-405 env.) Encyclopædia Universalis : Auteur : Jean-Urbain COMBY (professeur émérite d'histoire de l'Église à la faculté de théologie de l'université catholique de Lyon) 3. Synésius (en latin) de Cyrène (entre 370 et 375-apr. 413) Cf. Ecyclopaedia Universalis Rhéteur, philosophe néo-platonicien, puis, après sa conversion, évêque chrétien, Synésius, né à Cyrène en Libye, fut initié à la philosophie et à la science (astronomie et mathématiques) par la célèbre Hypatie, à Alexandrie. Il conserva toute sa vie une double fidélité, typiquement platonicienne, à la vie intérieure et à l'engagement politique. Personnalité influente de Cyrénaïque, Synésius assuma plusieurs charges dans sa province et fut envoyé à Constantinople (399-402) pour obtenir une détaxe en faveur de la Libye. Il prononça à cette occasion, devant le jeune empereur Arcadius, un discours, Sur la royauté, où il exposa courageusement ses conceptions philosophiques sur le prince idéal, tout en stigmatisant la décadence de la Cour. Il épousa à Alexandrie une chrétienne et rentra dans son pays pour y jouir d'une vie de grand seigneur, s'adonnant aux plaisirs de la correspondance et de la chasse. On lui confia diverses responsabilités dans l'organisation de la défense des frontières abandonnées par les troupes régulières contre les bandes de brigands. En un temps où l'épiscopat devenait la fonction sociale la plus importante, c'est sans doute pour ses qualités de responsable politique que les chrétiens de la Pentapole le choisirent comme évêque de Ptolémaïs en 410. Synésius, qui n'était peut-être pas encore baptisé, accepta, mais en posant ses conditions : il voulait pouvoir rester dans l'état du mariage, ne pas être contraint de professer la résurrection des corps, ni de renoncer aux doctrines de la préexistence de l'âme et de l'éternité du monde. On ne sait pas jusqu'à quel point il put trouver satisfaction. Il fut en tout cas consacré évêque par Théophile, après un séjour de six mois à Alexandrie au sujet duquel nous ne savons malheureusement rien. Synésius semble s'être comporté selon l'image que l'on se faisait de l'évêque à cette époque : lutte contre les hérésies, discipline ecclésiastique, défense de ses diocésains contre les dépravations de l'autorité, excommunications. Son œuvre littéraire, en grande partie antérieure à sa consécration épiscopale, est d'une haute qualité et recouvre plusieurs genres : Hymnes, Sur la royauté, Éloge de la calvitie, Lettres, Sur la Providence, Dion, Sur les rêves, Homélies. Ces divers écrits révèlent un des meilleurs écrivains de l'époque et peut-être une des personnalités les plus intéressantes de la fin de l'Antiquité. Synésius illustre de façon remarquable le rapprochement qui s'était opéré dans les esprits entre la tradition hellénique et le christianisme tant sur le plan culturel que sur le plan social. À ses propres yeux, son passage au christianisme n'était que l'accomplissement de son idéal philosophique. Fonds Oniros 136 - Des Songes (De Insomniis), Synésius de Cyrène, Hachette, Paris, 1878, "Oeuvres de Synésius", pp. 346-376. Extrait de livre. 4. Apatheia (source Wikipedia) L’apatheia, est un terme du vocabulaire de l’ascétisme et de la mystique. Souvent traduit par «impassibilité», il signifie littéralement «absence de passions» et «tranquillité de l’âme» parvenue au détachement parfait ou même à l’«impeccabilité» Le terme est composé d’un alpha privatif et d’un dérivé de pathos, «ce qu’on éprouve, ce qu’on subit» (même racine que le latin pati, subir, souffrir, dont dérive passio). Ce terme, par un glissement sémantique, a donné le mot «apathie» aujourd’hui.
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LE RÊVE DANS L'ISLAM
Par Patrick Bertoliatti *
Dans la tradition islamique, ce que le croyant voit en rêve a la valeur du quarante sixième de la prophétie. Même si certains commentateurs ont pu restreindre la validité de cette affirmation aux proches du prophète Muhammad (ci-après le Prophète) ou encore ne l'étendre qu'à ses proches, il n'en demeure pas moins que le rêve est vu comme une possible source de savoir divin. Le rêve y est en conséquence abordé avec sérieux, d'autant que toujours selon la tradition, il peut être un lieu de l'apparition véridique du Prophète, et que Dieu même peut s'y rendre visible sous certaines formes. Mais le rêve y est aussi abordé avec prudence. Car la tradition relayée par les différentes synthèses dogmatiques (cf. par exemple celles d'Ibn Sirin, Ibn Arabi, Ibn Khaldoun et lbn Hajar du 7ème au 15ème siècle) indique que s'il existe des rêves véridiques porteurs d'un message divin, des rêves porteurs de révélations directes de la Réalité et des rêves prophétiques, il existe aussi des rêves qui ne reflètent que les pensées et les sentiments du rêveur et des rêves suscités par des forces démoniaques.
Plusieurs sourates du Coran font explicitement référence aux rêves. Ces exemples montrent le rêve comme un lieu d'intervention de Dieu rectifiant les attitudes conscientes, qu'il peut être prophétique et libérateur, et que sa compréhension est de l'ordre du don. Il est aussi montré comme une version soit symbolique, soit directe du message qu'il transmet. Enfin que le rêve peut correspondre à un commandement divin. Il est important de noter l'importance de la dimension onirique de ces divers épisodes. Par exemple le rêve rapporté par Abraham à son fils dans la sourate 37 ne se retrouve pas dans le récit biblique correspondant. Mais, et c'est peut-être le plus important, cette même sourate montre que l'interprétation d'un rêve peut permettre d'atteindre au cœur même de la foi musulmane : se soumettre à la volonté divine.
Le hadith donne aussi des indications pratiques. Comme par exemple que tout rêve qui vient de Dieu se reconnaît à ce qu'il est accompagné de soulagement et de joie, alors que tout rêve qui vient du diable met mal à l'aise. Il conseille de ne raconter que les rêves qui proviennent de Dieu, et de taire ceux qui proviennent du diable. Il indique aussi que l'état de pureté du cæur du dormeur se retrouve dans le degré de clarté d'un rêve. Par ailleurs, on l'a vu, le sommeil peut devenir le moment de la visitation de Dieu ou celui d'une présence démoniaque. Comme la pureté renvoie à la relation au monde divin et l'impureté attire le démon, le hadith prescrit un certain nombre de gestes de purification devant être accomplis avant de s'endormir ou suite au réveil. Bref, il convient autant de se préparer au rêve que de savoir l'accueillir.
Pour opérer la translation de sens des symboles oniriques, on a d'abord cherché dans la Tradition scripturaire et dans l'usage des premiers Compagnons du Prophète. Mais on s'est vite rendu compte que d'une part chaque symbole ne prenait son sens que dans la relation aux autres éléments du rêve, et que d'autre part il pouvait revêtir un sens original propre au rêveur. Les interprétations possibles se sont donc multipliées en tenant toutefois compte d'un principe de base : l'image onirique est censée renvoyer à un «au-delà» du rêveur. C'est-à-dire qu'elle est transpersonnelle du point de vue téléologique même si sa signification immédiate est personnelle.
En guise de conclusion
L'interprétation des songes nécessite selon le Coran un choix et une inspiration de Dieu. C'est en conséquence une science divine. Et chez les mystiques musulmans, comme Ibn Arabi par exemple, le rêve est une source de lumière spirituelle. Mais il est aussi possible de faire une lecture psychologique de ce qui précède et retenir qu'il nous est dit que : • le rêve peut avoir un effet compensateur d'une attitude consciente trop unilatérale, Si l'on ajoute à cela que par exemple Ibn Sirin (fin 7ème-début 8ème siècle : 654-728) recommandait de lire un rêve en reliant entre elles les images apparemment sans lien en utilisant les jeux de mots ou l'étymologie, ou encore qu'il convenait de tenir compte des désirs et des craintes cachés du rêveur, on a pratiquement tous les éléments utiles pour commencer un travail thérapeutique d'interprétation des rêves ... On vit tous d'emprunts... On retiendra aussi toutefois que, comme dans le Christianisme, l'Islam ne recommande pas d'interroger le sens de n'importe quel rêve. La question continue donc à se poser : le travail de n'importe quelle image qui traverse mon esprit me conduit-il obligatoirement à la santé psychique ?
* Article publié dans la revue 3e millénaire, n° 110, décémbre 2013, pp. 58-59. — Bibliographie (ajoutée par Roger Ripert) Fonds Oniros 1196 - Le Grand livre de l'interprétation des rêves, Ibn Sirin (Muhammad), Dar Al Bouraq, Beyrouth, 3èm éd., 1999, 648 p. Livre relié. Tr. de l'arabe par Youssef Seddik. Ouvrage aussi édité en 1993 et 1998. Publié aussi par les Éd. de l'Aube, en 2005. 1429 - L'interprétation des rêves dans la tradition islamique, Ibn Sirin, Alif éditions, 1998, 230 p. Livre Dossier - Photocopie offerte par David Guerdon. 993 - Les songes de Mahomet, Doutté (Edmond), In "La Société musulmane du Maghreb. Magie et religion dans I'Afrique du Nord", A. Jourdan, Alger, 1909, pp. 397-415 - Extrait de livre 153 - Les songes et leur interprétation - Sources orientales II, Sauneron (Serge) (ed.) Ed du Seuil, Paris, 1959, 331 p. Anthologie. Les songes et leur interprétation dans I'Egypte ancienne, à Babylone, chez les hittites, selon Canaan et Israël, selon l'Islam, chez les peuples altaïques, chez les persans, selon les Ahl-e-haqq du kurdistan iranien, en lnde, chez les cambodgiens... 245 - Interprétations du rêve au Maroc, Bibliothèque d'ethnopsychiatrie, Benjamin Kilborne, La Pensée sauvage, 1978, 242 p. Références • 1430 - Ibn Sirin, Muhammad (654-728) • 1431 - Dictionnaire de l'interprétation des rêves selon l'Islam, Mohand Akli Haddadou, Casbah Editions, 2011. • Le rêve et son interprétation dans l'Islam : avec un répertoire de 350 symboles pour analyser ses rêves, Mohand Akli Haddadou, Entreprise nationale du livre, 1991. |
Interprétation des rêves dans l'Islam
Sources : Wikipedia et Wikibis
Le rêve a toujours suscité de l'intérêt tant pour les adeptes des sciences pures que pour les partisans des sciences parallèles ou théologiques.
Le sommeil et le rêve dans le Coran et dans le hadith
Dans le Coran
Dans le hadith
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