CHAMANISME
   
   

 

LE CHAMANISME

 

Le Renouveau chamanique

Chamanisme et enthéogènes

L'Art de rêver de Carlos Castaneda

Les rêves chamaniques

Bibliographie chamanique

Liens et séminaires

Peinture chamanique

Capteurs de rêves

 

Voir aussi :

Santé

Herboristerie

Défense de la nature

Les plantes hypnogènes

Les plantes enthéogènes


LE RENOUVEAU CHAMANIQUE



 

Dans l'avenir l'esprit de l'homme rouge, qui avec amour et vénération respecte tout ce qui vit, s'emparera de vos enfants et pénêtrera en ceux qui ne savent rien de lui.

Seattle, chef Dawnish. Nord-ouest des USA,1855.


Le renouveau du chamanisme n'est pas seulement le fruit des mouvements psychédélique, hippie ou New Age. Inspiré par le réenchantement du monde auquel invite la science de pointe, il fut amorcé par des scientifiques et porte la marque de leur cartésienne méthode, qui conduit en un premier temps à étudier séparément chaque élément d'un phénomène observé. Des biologistes s'intéressèrent aux effets des substances psychotropes. Des ethnologues décidèrent d'explorer les états de conscience auxquels le chamanisme fait appel. Des thérapeutes voulurent adjoindre à la médecine moderne une démarche inspirée des pratiques chamaniques. Tous rencontrèrent sur leur route l'onirisme. Une synthèse aujourd'hui se dessine. Elle s'en inspire directement.


 

 

Premières retrouvailles : Maria Sabina et ses "enfants sacrés"

C'est au cours des promenades de leur lune de miel que les époux Wasson mesurèrent soudain combien les divisait la vision... de simples champignons ! Elle en trouvait partout, il n'en voyait aucun. Pour Valentina, d'origine russe, ils étaient un don de Dieu, dignes de figurer dans tout repas de fête. En bon anglo-saxon, son mari les considèrait plutôt comme de petites choses sales, vénéneuses et sentant le pourri. L'idée d'en manger ne lui serait jamais venue. Intrigués par cette différence, ils décidèrent d'étudier leur place dans l'histoire des civilisations, et fondèrent peu après une nouvelle discipline, l'ethno-mycologie, qui les conduisit à s'intéresser aux utilisations chamaniques des champignons hallucinogènes.
En 1956, ils rencontrèrent au Mexique Maria Sabina, guérisseuse mazatèque d'une soixantaine d'années. Pour les Mazatèques, les champignons étaient sacrés, et leur culte représentait le seul vestige de leur culture anéantie. Ils les appellaient petits qui poussent, petits saints, enfants sacrés, et Sages ceux qui s'en servaient pour soigner. Pourtant, si Maria Sabina avait commencé à en manger dès l'âge de six ans, c'était parce qu'ils coupaient sa faim et la rendaient joyeuse. Mariée à quatorze ans, veuve à vingt, elle devint Sage un peu par hasard, lorsque sa soeur la supplia d'essayer de la guérir. Au cours de la séance, Maria eut sa première vision. Des "Etres Principaux", dont parlaient ses ancêtres, lui apparurent, semblables à des humains mais "inspirant le respect". Ils lui présentaient un grand livre, le Livre de la Sagesse, et bien qu'analphabète elle le lut à haute voix. "La Sagesse est le Langage. Le Langage est dans le livre. Le Livre, ce sont les Etres Principaux qui l'accordent. Les Principaux apparaissent grâce au grand pouvoir des enfants sacrés."
Elle rencontra ensuite le Seigneur des Montagnes, envoûteur des esprits, guérisseur suprême et sans visage, monté sur son cheval blanc. Puis un objet lumineux frappa le sol dans un bruit de tonnerre, se transforma en un être végétal au corps de fleurs de couleurs variées, aux membres comme des branches, tout couvert de rosée. Maria transpirait une sueur froide, pleurait des larmes qui lui semblaient solides. Au matin elle s'endormit, "bercée dans un rêve, comme si mon corps était doucement balancé dans un hamac géant suspendu au ciel et qui oscillait d'une montagne à l'autre". Ces visions la consacraient chamane.
Peu à peu, elle devint Sage reconnue, même le médecin lui envoyait des patients, à qui elle demandait toujours "quel a été ton rêve ?" avant d'établir son diagnostic et de partager avec eux les champignons guérisseurs. Le maire l'invitait à trouver dans ses visions les solutions aux conflits du village, et lui présenta un jour les Wasson qu'elle initia aux champignons sacrés. Rencontre hallucinée entre le nouveau monde et l'antique connaissance, sur le terrain du magique onirisme !
Si les visions des Wasson ne comportaient pas d'êtres mythiques, remplacés par des motifs géométriques ou de majestueux paysages, elles procuraient le même effet, "lourdes de sens, (...) supérieures en tous points à tout ce qui passe pour être la réalité du monde. (...) Nous nous sentions en présence des "Idées" auxquelles faisait référence Platon. (...) En équilibre dans l'espace, j'étais un oeil séparé de son être, invisible, incorporel, qui voyait sans être vu," écrivit Wasson dans ses articles qui, avec les enregistrements des chants de Maria Sabina, la rendirent célèbre et suscitèrent l'intérêt des scientifiques.
Les missions de recherche se succédèrent alors dans la sierra mazatèque, aboutissant à l'isolation du principe actif des champignons, la psylocibine. Sur leurs traces, les hippies affluèrent. Maria ne comprenait pas que l'on puisse rechercher les visions du rêve hallucinogène quand on est bien portant, mais puisqu'ils "cherchaient Dieu" elle était prête à aider. Le succès lui tournait un peu la tête, comment ne pas en profiter pour sortir de la misère qu'elle avait connue toute sa vie ? Elle sentait pourtant que cet engouement achevait la déculturation de son peuple. "Ils prennent des enfants sacrés n'importe quand et n'importe où. Ils ne le font pas la nuit ni suivant les indications des Sages. Les enfants sacrés ont perdu leur pureté, leur force, on les a gâchés. Désormais ils ne feront plus d'effet. On n'y peut rien" disait-elle peu avant sa mort. Et plus tard, c'est un autre vieux Sage qui dressa le bilan : "Le champignon sacré ne nous appartient plus. Son Langage sacré a été profané, il est devenu indéchiffrable pour nous. Maintenant les champignons parlent anglais !"
Du rêve de la chamane ne restait que son chant :



Je suis femme qui regarde au dedans, dit l'enfant sacré
Je suis femme de lumière, il dit
Je suis femme qui tonne, il dit
Je suis femme savante en médecine, il dit
Je suis femme savante en Langage, il dit
Je suis femme grande étoile, il dit
Je suis la femme qui sait nager dans le sacré

(Sylvain Michelet, Le Livre des rêves, , Albin Michel, février 2000)


 


 

Chamanisme : la forêt magique de Fontainebleau

 

Dans les gorges d’Apremont, près de Barbizon (Seine et Marne),
un paysage forestier parsemé de rochers aux formes uniques.


Le champignon magique

A quelques mètres du fameux éléphant des gorges d'Apremont (voir ci-dessous),
 le rocher du "champignon magique" (2,5 m de haut)

Photo Mateo

 

 

 

 

PORTRAIT D'UN PIONNIER


Source : INREES

Michael Harner : L'inventeur du chamanisme moderne

Par Laurent Huguelit

30 Mai 2011

L’anthropologue Michael Harner est une figure centrale de la redécouverte du chamanisme dans nos cultures. Son travail fut parfois vertement critiqué dans certains milieux académiques, mais il est aujourd’hui unanimement reconnu comme étant un pionnier du retour du chamanisme en Occident.


C’est durant les années 1960 qu’une nouvelle vague anthropologique décida de se rapprocher des chamanes et de les considérer non plus comme étant des objets d’étude – et le mot objet est à comprendre ici dans sa signification péjorative également –, mais comme des praticiens d’une forme de savoir pragmatique issu du contact direct avec les forces de la nature. Cette nouvelle vague fut portée principalement par de jeunes anthropologues américains partis sur le terrain en Amérique centrale et du Sud, qui décidèrent de prendre les pratiques et les récits des chamanes au sérieux, sans leur imposer une interprétation folklorisante dépréciative. L’un des principaux éléments déclencheurs de ce changement d’attitude provint directement du fait que ces anthropologues acceptèrent de pénétrer dans l’univers des chamanes en participant à leurs cérémonies et en consommant leurs plantes sacrées. Il est important de comprendre qu’il n’était pas évident de se positionner ainsi à cette époque – et aujourd’hui encore, c’est parfois difficile –, sous peine de briser un tabou académique très profondément ancré dans les moeurs intellectuelles occidentale. Observer les chamanes, oui, mais participer à leur folie, non !

Né en 1929, Michael Harner fut l’un des chefs de file de cette nouvelle vague. Il avait 27 ans lorsqu’il commença à faire parler de lui suite à deux séjours chez les Indiens Shuar ou Jívaro de l’Amazonie équatorienne, en 1956 et 1957. Les fameux «réducteurs de têtes» allaient devenir l’un de ses sujets de prédilection, si bien qu’il devint le spécialiste des Shuar et publia un ouvrage intitulé Jívaro : People of the Sacred Waterfalls (Les Jívaros, hommes des cascades sacrées), qui reste à ce jour l’une des principales références sur cette peuplade.

À cette époque, le jeune anthropologue joua encore le jeu de l’observation classique : « Je recueillis [...] avec succès de nombreuses informations sur leur culture, mais je restai un observateur extérieur au monde des chamanes. » Son approche du chamanisme fut cependant bouleversée en 1960-61, lors d’un séjour chez les Indiens Conibo du Pérou durant lequel il fut invité à prendre de l’ayahuasca, la boisson psychotrope qu’utilisent les chamanes d’Amazonie pour accéder au monde des esprits. « Les gens étaient amicaux, mais hésitaient à parler du surnaturel. Finalement, ils me dirent que si je désirais vraiment apprendre, je devais boire la boisson sacrée des chamanes, une potion à base d’ayahuasca, «la liane de l’âme» ». Il fallait consommer les plantes des Indiens pour comprendre leur manière de voir le monde. C’était une condition sine qua non. Et c’est ce que fit Michael Harner. En acceptant d’entrer dans l’univers des chamanes, il inaugura une voie initiatique qui fut ensuite empruntée par d’autres anthropologues.

Le déclic chamanique

Le récit de sa première prise d’ayahuasca chez les Conibo, qu’il décrit dans La Voie du chamane, est un monument de la littérature anthropologique. Dans un style aventureux et enjoué, l’anthropologue y conte la manière dont il fit l’expérience de visions rappelant étrangement les scènes décrites dans l’Apocalypse biblique. Il revécut également l’évolution de la vie sur Terre et vit d’immenses dragons tombés du ciel venir peupler notre planète. Cette expérience eut un impact décisif sur la vie de Michael Harner : il décida de ne plus se cantonner uniquement à son rôle d’anthropologue, mais d’apprendre les techniques du chamanisme. En discutant de ses visions avec un vieux chamane conibo aveugle, il fut abasourdi de découvrir que les chamanes avaient accès aux mêmes visions que lui et qu’apparemment, ces «hallucinations» étaient à la source de leur savoir – elles faisaient partie intégrante de leur cosmologie. Pour conclure leur échange, le vieux chamane aveugle lui dit qu’après avoir vu tant de choses, il ne faisait aucun doute que lui aussi, l’anthropologue blanc, puisse devenir un «maître chamane». Qu’Harner soit conibo ou américain ne faisait aucune différence. Seuls le contenu et la qualité de ses visions étaient pertinents, et non sa couleur de peau ou ses origines ethniques. Cette ouverture d’esprit convainquit l’anthropologue : il prit le vieux chamane au mot et décida de poursuivre sa quête chamanique.

Après avoir obtenu son doctorat en anthropologie à l’Université de Berkeley, et bien décidé à en savoir plus sur ses présumées capacités chamaniques, il retourna chez les Shuar en 1963 et en 1964, cette fois-ci dans le but d’apprendre les techniques du cha­manisme. Il entreprit cette quête en partant du prin­cipe que toute hypothèse doit être vérifiée par l’expé­rience. Comme lors de son séjour chez les Conibo, il fut invité à plonger – littéralement – dans la pratique : avec deux amis shuar, il se rendit à la cascade sacrée des Jívaro. A l’époque, qu’un blanc soit invité à pénétrer dans un sanctuaire aussi préservé constituait un événement en soi. C’est un honneur difficile à concevoir aujourd’hui, alors que le tourisme amazonien bat son plein. Ses amis Shuar lui firent consommer de la maikua, une plante visionnaire très puissante (Brugmansia spp.), et à l’image du vieux chamane conibo, ils n’émirent aucun doute sur le fait qu’un blanc puisse apprendre à devenir chamane.

À son retour d’Amazonie et durant une quinzaine d’années, Michael Harner enseigna dans certaines des plus prestigieuses universités d’Amérique du Nord : Columbia, Berkeley, Yale, la New York Academy of Sciences, etc. Il fut notamment le professeur d’un étudiant qui allait beaucoup faire parler de lui dans les milieux alors très restreints de la «renaissance chamanique» : Carlos Castaneda. L’amitié qui lia Castaneda et Harner fit couler beaucoup d’encre, en particulier au moment où des doutes – justifiés – furent émis sur la véracité du contenu des ouvrages de Castaneda. Michael Harner resta fidèle en amitié et s’interdit de tomber dans le piège du lynchage collectif, mais il prit cependant ses distances par rapport à l’approche contestée de son ancien élève : «Plus tard, Carlos s’est plus orienté vers son propre monde. Ses derniers livres n’ont pas grand-chose à voir avec le chamanisme et beaucoup à voir avec le propre monde de Carlos. [...] Il était dans le monde du sorcier.»

Tambour battant

Tout en continuant d’enseigner en contexte académique, Michael Harner poursuivit son travail sur le terrain en côtoyant plusieurs peuplades amérindiennes, dont les Pomo et les Salish. C’est en tissant des liens d’amitié avec certains chamanes de ces cultures – dont la célèbre chamane pomo Essie Parrish –, qu’il découvrit que selon les contextes géographiques et culturels, le chamanisme est très souvent pratiqué en utilisant le son percussif du tambour, sans prise de plantes psychotropes. « Finalement, j’ai eu la possibilité d’essayer de battre le tambour. J’avais un préjugé contre cette méthode que je croyais incapable de faire quoi que ce soit, mais de fil en aiguille, après plusieurs expériences, ça a fonctionné. Après cela, j’ai passé du temps avec les Indiens de la côte ouest qui utilisaient les tambours de manière très efficace pour atteindre l’état de conscience chamanique. »

Parce qu’il n’est pas illégal, qu’il n’est pas une «drogue», le tambour joua un rôle de pivot central dans le retour des pratiques chamaniques en Occident : « C’est cela qui a fait qu’il m’a été tellement facile d’enseigner le chamanisme pendant toutes ces années, parce que c’est une méthode légale, sûre, efficace et ancienne. Elle apprend aux gens qu’il y a plus qu’une seule porte vers la réalité non ordinaire ». De plus en plus attiré par la pratique en soi, ainsi que par le besoin de transmettre à autrui le fruit de ses recherches, Michael Harner fonda le Center for Shamanic Studies en 1979, dans le but d’offrir aux personnes ayant des capacités chamaniques la possibilité de développer leurs potentialités dans un cadre formel. C’est à partir de là que son travail devint véritablement révolutionnaire, parce qu’il permit l’émergence d’une forme de chamanisme moderne adapté au contexte occidental – et partant, c’est également à partir de là qu’il fit des remous dans le monde académique. Le fait qu’un anthropologue de renom décide de «jouer à l’Indien» attisa l’incompréhension, et même parfois la haine, de certains de ses collègues, et cela en particulier sur le Vieux Continent, moins enclin à voir la pertinence de son approche pragmatique et novatrice – no nonsense comme les disent les Américains.

La littérature anthropologique des années 1980 et 1990 regorge d’insinuations parfois violentes à l’encontre de Michael Harner, l’anthropologue déchu – ou le «néochamane», terme péjoratif qu’Harner lui-même n’a jamais utilisé – qui a osé franchir la limite de l’académiquement correct en décidant d’enseigner le chamanisme sans pour autant être né dans la jungle d’Amazonie ou dans les steppes de Sibérie. Car il semblait évident, dans l’optique restreinte d’une certaine pensée intellectualiste, qu’il y a des choses qui ne se font pas – et Michael Harner les a faites. Il a osé braver les tabous académiques, tant et si bien qu’en 1980, il poursuivit de plus belle en publiant le livre qui allait changer à tout jamais la manière dont le chamanisme est perçu et abordé en Occident : La Voie du chamane (The Way of the Shaman).

La voie est ouverte

Comme je l’écris dans la préface de la nouvelle édi­tion française de cet ouvrage, « La Voie du chamane est sans aucun doute l’un des plus importants ouvrages sur le chamanisme, parce que justement, il parle de chamanisme, c’est-à-dire de techniques spécifiques permettant de changer d’état de conscience, de voyager et de travailler dans le monde des esprits. » Avec cet ouvrage, Michael Harner se positionna clairement du côté du praticien. Dans un style enthousiaste, clair et précis, La Voie du chamane nous conduit au coeur du sujet, puisqu’il y est question d’apprendre les techniques du chamanisme. Ce changement radical d’approche axé sur la pratique, Michael Harner l’a formalisé en 1985 en fondant la Foundation for Shamanic Studies (FSS), un organisme mondial à but non lucratif visant à préserver, à comprendre et à transmettre les techniques du chamanisme dans le cadre de formations et de stages destinés à toute personne ressentant l’appel chamanique.

A l’origine de la FSS, il y a cette idée que chez nous, comme dans toutes les cultures du monde, une partie de la population a des capacités chamaniques. Mais ces capacités restent bien souvent latentes, parce que suite à deux mille ans de persécution, nous avons appris à les renier. Nous avons même développé une forme très particulière de «névrose chamanique», dont le principal symptôme est la croyance tenace selon laquelle il est impossible de pratiquer le chamanisme en Occident, comme si cette partie du monde était corrompue culturellement au point de s’être complètement détachée de ses racines. Mais pourquoi l’Occident serait-il si différent des autres cultures ? Faisant fi de ce préjugé pessimiste, Michael Harner a voulu prouver qu’au contraire, nos racines chamaniques ne demandent qu’à être réveillées. Pour dénicher les chamanes potentiels qui sommeillent en nous, il a fait en sorte de fournir un accès à une forme d’enseignement adapté au contexte de la vie moderne – et en observant la vigueur avec laquelle le chamanisme est en train de se redévelopper aujourd’hui dans nos pays, force est de constater qu’il a réussi son pari. En ramenant la pratique chamanique dans les pays occidentaux, Michael Harner a cherché à en définir les points fondamentaux. Il est parti du principe que ce ne sont pas ses caractéristiques culturelles spécifiques qui donnent au chamanisme sa fabuleuse capacité d’adaptation – sa plasticité –, mais ses aspects techniques, qui sont universels. Il a nommé core-shamanism, ou chamanisme fondamental, la cosmologie et l’ensemble de techniques qu’il a regroupés dans un but pratique. Pour parvenir à un ensemble cohérent et non dogmatique, il s’est inspiré de son travail sur le terrain et de sa propre pratique, ainsi que de la littérature spécialisée. Il s’est notamment penché sur l’oeuvre de l’historien des religions Mircea Eliade, auteur de l’ouvrage classique Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, qui fut l’un des premiers spécialistes à discerner des caractéristiques universelles dans les pratiques chamaniques du monde entier.

Le temps de la reconnaissance

Alors que la FSS connaissait un succès grandissant, Michael Harner décida de se retirer du monde académique en 1987. Fait étonnant – mais est-ce vraiment étonnant ? –, c’est à partir du moment où il a tiré sa révérence que ses anciens détracteurs sont petit à petit revenus sur leur position, pour finalement prendre conscience de l’importance de l’oeuvre de ce pionnier en avance sur son temps.

Ainsi, en 2003, le California Institute of Integral Studies lui décerna un doctorat honoraire en études chamaniques. En 2009, la prestigieuse American Anthropological Association organisa deux séminaires sur le chamanisme en son honneur. La même année, il reçut le Pioneer in Integrative Medicine Award de l’Institute of Health and Healing de San Francisco, où il fut acclamé comme étant l’une des autorités mondiales en matière de chamanisme et de tech­niques traditionnelles de soins. Dans le livre Higher Wisdom, qui regroupe les témoignages de plusieurs acteurs clé du renouveau spirituel qui a débuté dans les années 1960, Roger Walsh, professeur de psychiatrie, philosophie et anthropologie à l’université de Californie, et Charles S. Grob, directeur de recherche et professeur à la UCLA School of Medicine, résument avec brio la carrière de Michael Harner : « Sa manière de combiner l’approche anthropologique, l’expertise académique, les études du chamanisme dans de multiples cultures, et sa propre formation chamanique, a produit une profondeur et une étendue d’expertise et d’influence rares, peut-être uniques.» Bien que des sommités comme son ami Stanislav Grof le considèrent aujourd’hui comme «un authentique chamane blanc», Michael Harner n’a pourtant jamais cessé de se considérer avant tout comme un anthropologue : « J’étais, et je suis toujours, un anthropologue. » Dans le cadre de la FSS, il a mis sur pied plusieurs programmes d’étude et de préservation des peuplades chamaniques. L’un d’entre eux a pour but de réintroduire le chamanisme dans des cultures où il est en voie de disparition.

Fidèle au principe de non-ingérence, c’est uniquement sur demande que la FSS entreprend ce type de démarches. « En plus de la mission de ramener la guérison chamanique en Occident, j’ai souhaité que la Foundation soit au service des peuples indigènes qui souhaitent faire revivre le chamanisme après des décennies, voire même des siècles, de persécution. Après tout, les peuples indigènes ou tribaux furent très longtemps les seuls dépositaires du savoir chamanique, et le monde a une immense dette envers eux. » C’est par exemple sur une demande du gouvernement de la République de Touva, que la FSS travailla pendant plus de dix ans avec les chamanes de cette région d’Asie centrale. La République de Touva est connue pour être l’un des berceaux historiques du chamanisme, et ses traditions ont été presque totalement éradiquées par le communisme, à l’image des tambours des chamanes confisqués et enfermés dans des musées.

En 2006, Michael Harner a créé un conservatoire du savoir chamanique, le Shamanic Knowledge Conservatory, qui renferme des dizaines de milliers de documents de référence sur la pratique du chamanisme traditionnel et moderne. Avec sa femme Sandra, il a également mis sur pied un projet expérimental de recherche dans le but d’étudier la manière dont les soins chamaniques influencent le système immunitaire du corps humain. Finalement, par l’intermédiaire d’un programme intitulé Living Treasures of Shamanism (Les trésors vivants du chamanisme), il a décidé de soutenir les derniers chamanes de certaines traditions en voie de disparition – un chamane daur de Mongolie, certains des derniers chamanes tibétains, l’un des derniers chamanes-jaguar du peuple des Baniwa, en Amazonie brésilienne, entre autres exemples.

De la forêt amazonienne des années 1950 aux stages de core-shamanism du 21ième siècle, Michael Harner a su garder son intégrité et suivre sa vision, sans se départir d’un sens de l’humour parfois subtilement corrosif. Il a voulu démontrer que le chamanisme appartient à toutes les cultures du monde, y compris notre culture occidentale qui l’a pourtant très longtemps renié, et que le personnage du «chamane» est voué à s’adapter et à se transformer avec le temps, comme il l’a fait depuis des millénaires. Comme il l’explique dans , «en un sens, le chamanisme est en train d’être réinventé parce que l’Occident en a besoin.» Et cette réinvention, nous la devons en grande partie à lui, un anthropologue au destin chamanique qui a su maintenir fermement l’attitude qui caractérise les pionniers : il a osé.

 



CHAMANISME ET ENTHÉOGÈNES

Stropharia cubensis (Earle) ou champignon de Saint Isidore.


Probablement d'origine asiatique bien que, comme son nom l'indique, il ait été décrit pour la première fois d'après un spécimen collecté à Cuba. Très répandu et facile à cultiver, il pousse sur les bouses de vache, animal inconnu des précolombiens. Il a pu être introduit au Mexique à partir des Philipinnes, avec lesquelles les Espagnols entretenaient un commerce assidu.

 


A l'instar du rêve nocturne, nombre de substances hallucinogènes ou psychoactives (enthéogènes), principalement issues du monde végétal, ont de tout temps et dans toutes les cultures conduit l'homme à la découverte et à l'exploration de son univers intérieur.
De par leur pouvoir rapide et puissant de changer l'esprit (l'élargir pour les uns ou le rétrécir pour les autres !), ces "médecines de l'âme" ont pris rapidement une dimension socio-culturelle et religieuse importante, voire essentielle. Comme le rêve nocturne, elles demeurent plus ou moins sacralisées ou frappées d'interdits. Une même démarcation fondée sur les statuts accordés aux mondes intérieur et extérieur oppose aujourd'hui de manière radicale les cultures chamaniques à la culture occidentale.
A l'opposé de notre culture matérialiste tournée vers l'extérieur, où la transe psychédélique comme le rêve et l'imaginaire en général se voient dévalorisés et marginalisés, dans les cultures chamaniques (encore proches de la nature) les principales plantes à propriétés psychotropes, telles que le Peyotl ou les champignons hallucinogènes, font partie intégrante de la vie sociale et religieuse par l'intermédiaire des chamanes-guérisseurs.
S'opposant à la thèse défendue par Mircea Eliade, l'Américain Terence McKenna soutient l'idée émise par R. Gordon Wasson selon laquelle "la présence dans une culture chamanique d'une substance hallucinogène est la marque d'une culture authentique et vivante alors que sa phase décadente se caractérise par des rituels élaborés, des épreuves et la dépendance à l'égard de personnalités pathologiques ("Hallucinogenic Mushrooms and Evolution", Revision, vol. 10 n° 4, printemps 1988)".
En effet, comment une culture dite chamanique pourrait-elle être "authentique et vivante" sans une étroite et véritable communion de l'homme avec son environnement "naturel" ? Est-il étonnant, par exemple, que la grande tentative de retour à la "nature" qui marqua le mouvement psychédélique et communautaire des années 60 se soit accompagné à la fois de la redécouverte des substances hallucinogènes et de la naissance du mouvement écologique.  Sur les traces de Gordon Wasson et de Roger Heim (à l'époque, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris), la quête mystique des "routards" aboutissait bien souvent à Huautla de Jimenez, ce haut lieu de pélerinage mycologique, perché sur la montagne en pleine forêt mazatèque, près de Oaxaca. Certains eurent la chance d'y rencontrer une curandera, telle la célèbre Maria Sabina, même si, en période sèche, les Teonanacatl (littéralement, la chair de Dieu), liés au culte de Tlaloc, divinité de la foudre et des eaux, ne furent pas toujours au rendez-vous des "voyageurs" qui souhaitaient les "faire parler"... (Voir note *)
Toujours bien vivant chez nombre de tribus amérindiennes du sud du Mexique, le culte des champignons remonterait au moins jusqu'au XIIIe siècle av. J.-C., comme l'atteste une étude monographique des champignons de pierre réalisée par St. F. Borhegyi (cf. R. Heim, Champignons toxiques et hallucinogènes) et il aurait été associé au pratiques hiératiques des Mayas, comme semble le prouver la découverte dans la région de Vera Cruz d'une terre cuite fort ancienne, d'origine totonaque, représentant un champignon sur lequel une femme pose une main tandis que l'autre bras levé paraît invoqué les dieux.
Indissociable de son biotope (la forêt ou la prairie) et de son partenaire symbiotique (l'arbre ou la vache), le champignon hallucinogène - archétype de la substance psychoactive -, apparaît ainsi pour Terence McKenna comme une sorte de lux natura, une conscience/lucidité unissant l'homme à la nature dans une relation symbiotique de dépendance mutuelle et de bénéfices partagés. A l'opposé du champignon atomique, porteur d'apocalypse, les petits champignons magiques redécouverts par notre culture occidentale semblent bien préfigurer la prise de conscience écologique et le retour au chamanisme qu'implique le nouveau paradigme, intégratif et holiste, unissant Rêve et Réalité.


(Roger Ripert, Le Livre des rêves, Albin Michel, 2/2000)

 

Roger Heim en 1969, avec Gordon Wasson, dans les montagnes du Mexique,
triant parmi des milliers de champignons psilocybes secs

 

Hommage à Roger Heim

L'écologiste, le mycologue, le psychonaute

par Dominique Guillet

http://liberterre.fr/gaiagnostic/hommage-heim.html

 




 

A PROPOS DE L'AMANITA MUSCARIA

(AMANITE TUE-MOUCHE)

Cliquer pour agrandir la photo

Spécimens trouvés en Bourgogne, près de Bazoches (58)

Photo RR du 5 novembre 2014

 

SA CONSOMMATION : UNE QUESTION DE RECETTE DE CUISINE !

 

«Nombreuses sont les personnes qui consomment sans inconvénient l'Amanite tue-mouche, soit cuite, soit privée de sa cuticule - où le toxique [la muscarine] est surtout localisé -, notamment en Russie, dans le Piémont et ça et là en France», comme l'écrit Roger Heim (* p. 111).»

«Nombreux sont ceux qui consomment l'Amanite tue-mouche après élimination de la pellicule du chapeau, ce qui s'explique par l'accumulation de la muscarine en cet endroit; le plus souvent, le champignon est cuit ensuite dans un peu d'eau, rejetée avant assaisonnement de sel, poivre et beurre (M. Badet, 1934, etc.) (p. 138).»

Ce champignon pousse sous les bouleaux et les conifères, auxquels il est lié par des relations mycorrhiziques étroites, jamais sous d'autres essences, dans les terrains siliceux, argilo-siliceux ou silico-calcaires. On le rencontre de fin août à fin novembre. [C'est un champignon des climats tempérés du Nord].

* Extrait de l'ouvrage de Roger Heim, Les champignons toxiques et hallucinogènes, Ed. Boubée, Paris, 1963.

Note du webmestre : le champignon n'a pas des qualités gustatives extraordinaires, mais il est comestible ainsi préparé. L'important est donc bien d'éliminer la muscarine, source, comme le note Roger Heim, d'une intoxication gastro-intestinale rarement sérieuse, généralement banale (p. 188). Voir le traitement du syndrome muscarinien et sudorien décrit à la page 138.


 


Histoire de l’amanite tue-mouches
 

 

Un usage chamanique ancien


L'amanite est peut-être le plus anciennement utilisé des champignons hallucinogènes puisqu’il est connu depuis 3 500 ans et entrait probablement dans la composition du soma, mythique boisson divine de l’Inde antique. À l’autre bout du globe, il était connu des Mayas. Il a été aussi utilisé jusqu’à notre époque en Sibérie, au Kamtchatka, et chez certaines tribus indiennes d’Amérique du Nord lors de rites chamaniques destinés notamment à communiquer avec les « esprits ». Les rites chamaniques sont associés à des transes souvent obtenues par la consommation de plantes hallucinogènes.
Jusqu’au milieu du dix neuvième siècle, en Europe, on le croyait aussi toxique que l’amanite phalloïde dont la consommation peut être mortelle. En 1349, un des premiers livres d’Histoire naturelle publié en Allemagne affirmait que le jus d’amanite mélangé à du lait tuait les mouches et le nom de l’amanite signifie « qui tue les mouches » dans plusieurs langues. Toutefois, ses propriétés psychotropes restaient inconnues.

Le premier rapport écrit de l’usage de l’amanite dans des cérémonies chamaniques est dû à Johan von Strahlenberg, officier de l’armée suédoise qui resta prisonnier plusieurs années en Sibérie. Sous ce climat, l’amanite tue-mouches est le seul végétal possédant des propriétés psychotropes capable de pousser. 
L’amanite était consommé collectivement, principalement au cours de rites chamaniques. Il était très recherché et sa valeur marchande était élevée. Les champignons étaient coupés en tranches et mis à sécher. Ils étaient ensuite mastiqués par les femmes avant d’être façonnés en petits boudins pour être donnés aux hommes. Ils pouvaient être aussi consommés en décoction dans de l’eau, du jus d’airelle ou du lait. 
L’utilisation magico-religieuse du champignon donnait lieu, en raison de sa rareté, à une pratique étonnante, la consommation rituelle d’urine : l’urine des consommateurs, riche en principes actifs, était bue par d’autres participants leur permettant ainsi de ressentir les mêmes effets. En effet, après consommation les alcaloïdes du champignon passent rapidement dans l’urine. Le champignon était surtout utilisé par les chamans pour entrer en contact avec les esprits comme le font de nombreuses tribus avec diverses plantes hallucinogènes. Des tribus indiennes du Michigan l’utilisent aussi dans ce but. Interdit pendant l'époque soviétique en URSS, l'usage du champignon s'est cependant poursuivi clandestinement et continue aujourd’hui chez certains peuples de Sibérie (cf. Didier Pol, réf. ci-dessous).
 

La chimie de l'amanite tue-mouche

Il y a un siècle [en 1869], lorsque Schmiedeberg et Koppe isolèrent la muscarine [supposent le présence dans l'Amanite tue-mouche d'un poison apparenté au alcaloïdes basiques des plantes supérieures], on pensa qu'elle était le principe actif de ce champignon. C'était une erreur : Eugster [C. H. Eugster], en Suisse, et Takemoto, au Japon, on récemment isolé l'acide iboténique et l'alcaloïde muscimole.

Généralement [pour ces effets enthéogènes] le champignon est consommé sec. C'est le séchage qui permet la transformation chimique de l'acide iboténique en muscimole, composant le plus actif.

Richard Evans Schultes et Albert Hofmann, Les plantes des dieux, Ed. du Lézard, 1993 (p. 85).

 

L'identification des alcaloïdes


Les premiers travaux destinés à identifier des alcaloïdes dans l’amanite furent réalisés par Schmiedeberg et Koppe, en 1869, qui montrèrent une action parasympathomimétique de l’extrait d’amanite, capable d’arrêter le cœur de grenouille en diastole.

C’est pourtant seulement en 1931 que Kögl, Duisberg et Erxleben isolèrent la muscarine pour la première fois et il fallut attendre encore plus de vingt ans pour l’obtenir pure.

C’est en effet en 1953 que Eugster réussit à purifier le chlorure de muscarine sous forme cristallisée en mettant en œuvre des méthodes chromatographiques et à établir sa formule élémentaire exacte. À partir de 124 kg de champignon il obtint 260 mg de muscarine ultrapure soit un degré de purification de 480 000 par rapport au champignon ce qui représente une concentration en muscarine de 0,0002 % du poids frais. Il traita quelque 2 600 kilos de champignon pour obtenir quelque 5 g. Une telle concentration ne pouvait rendre compte des puissants effets psychotropes de l’amanite.

On a découvert ensuite qu’il existait également dans le champignon des isomères de la muscarine (allo et épi-muscarine) mais ils sont physiologiquement encore moins actifs que la muscarine et c’est seulement dans les années 1970 que devaient être identifiés les principaux alcaloïdes psychoactifs du champignon, acide iboténique, muscimol, muscazone. 

L’amanite tue-mouches contient plusieurs alcaloïdes : la muscarine a été le premier alcaloïde à en avoir été isolé il y a un siècle. Elle n'a pas d'effet psychotrope à la concentration où on la trouve dans le champignon. C'est un agoniste de certains récepteurs de l'acétylcholine appelés pour cette raison récepteurs muscariniques. 


Le principal alcaloïde psychoactif du champignon est le muscimol, 3-hydroxy-5-aminométhyl isoxazol. Le muscimol est hallucinogène à des doses de 10 à 15 mg. C’est un puissant agoniste du neurotransmetteur GABA *. Peu concentré dans le champignon frais, sa concentration augmente lors du séchage car il se forme par décarboxylation (perte d'une molécule de CO2) d'un autre alcaloïde de l'amanite tue-mouches, l'acide iboténique. Ce dernier, qui est un acide aminé, est présent dans l’amanite tue-mouches à une concentration de 0,03 à 0,1 %, plus élevée que celle du muscimol dans le champignon frais.

L’acide iboténique est hallucinogène par voie orale à des doses d'une centaine de milligrammes. Il est donc cinq à six fois moins actif que le muscimol. La transformation de l'acide iboténique en muscimol lors du séchage rend compte du fait que l'amanite tue-mouches est consommée séchée plutôt que fraîche lors des cérémonies chamaniques.

La  muscazone, un autre alcaloïde du champignon qui a des propriétés sédatives et hypnotiques se forme également à partir de l'acide iboténique. Ainsi, au cours du séchage du champignon, la concentration en acide iboténique diminue tandis que la concentration en muscimol et en muscazone augmente.

Extrait du site : http://www.didier-pol.net

* Voir LES 6 SUPER-NEUROTRANSMETTEURS DE VOTRE CERVEAU

Le terme agoniste désigne un muscle dont l'action permet de produire le mouvement (l'action principale dans un mouvement donné) que l'on désire obtenir. Le terme antagoniste désigne l'inverse.

 



 

 

 

LSD, champignons hallucinogènes, les promesses ambiguës de la médecine psychédélique

Par Franck Daninos

Extrait de Sciences et Avenir Hors-série de l'automne 2014


Après des décennies de disgrâce, les champignons hallucinogènes sont à nouveau étudiés pour leur potentiel thérapeutique. Un champ de recherche controversé.

"PSILOCYBINE". Depuis 2009, le psychiatre Stephen Ross et son équipe de l'université de New York testent une nouvelle thérapie visant à soulager les dépressions chroniques et les très fortes anxiétés. Un traitement basé sur la psilocybine, le principe actif des champignons hallucinogènes qui provoque des visions et modifie la perception de l'espace et du temps. Tammy Burgess, New-Yorkaise de 55 ans, est l'une des 32 volontaires qui participent à leurs recherches. Après avoir guéri d'un cancer généralisé, elle souffrait d'une peur de la mort omniprésente et très imagée qu'aucun antidépresseur ne parvenait à calmer.

Un matin, elle s'est donc rendue dans une salle de l'université. Deux thérapeutes lui ont donné la fameuse pilule (30 mg de psilocybine), en rappelant que ses effets pouvaient être contrés par un antipsychotique. Une fois la drogue avalée, elle a posé des écouteurs sur sa tête, un bandeau sur ses yeux, et s'est allongée. Puis elle s'est mise à "planer" au sein d'étoiles multicolores... Les deux prises ont été suivie de séances de psychothérapie évoquant son ancienne maladie et l'inéluctabilité de la mort. Très vite, les crises d'anxiété ont commencé à s'estomper. Comme si quelque chose s'était "débloqué" en elle, a-t-elle expliqué à Stephen Ross.

Les essais cliniques que le psychiatre supervise, consistant pour l'heure à déterminer les effets indésirables du traitement, s'achèveront fin 2014 et donneront lieu à une publication scientifique. Autorisées par la Food and Drug Administration (FDA, agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux), ces recherches ne sont pas un cas isolé.

D'autres sont en cours dans des universités américaines, mais aussi au Canada, en Suisse et en Angleterre. Elles pourraient déboucher sur des tests qui ouvriraient eux-mêmes la voie à la fabrication de médicaments. Et pas seulement pour traiter les dépressions sévères, car le potentiel thérapeutique de la psilocybine est également étudié pour d'autres maladies.

Mais si ces recherches rencontrent un intérêt croissant, la majorité des psychiatres et des psychologues restent toutefois à convaincre. Elles soulèvent encore beaucoup de méfiance, si ce n'est un profond rejet - en France tout particulièrement.

Les champignons "sacrés"

Pour le comprendre, il faut revenir des dizaines d'années plus tôt, lorsque les scientifiques ont commencé à étudier les champignons hallucinogènes. Tout commence en 1954 avec une expédition menée par l'Américain Robert Gordon Wasson, pionnier de l'ethno-mycologie. Cherchant la signification d'œuvres picturales du Moyen Âge décrivant des rituels liés à des champignons , il part à la rencontre des Indiens Mazatèques et Chatinos, dans le sud du Mexique. "Ce qu'il décrit à son ami Roger Heim, mycologue et directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris, incite ce dernier à le rejoindre, raconte Denis Lamy, historien des sciences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ils participent à des cérémonies chamaniques et goûtent les champignons sacrés, dont les fonctions sont aussi bien religieuses que médicinales".

Les effets bénéfiques du LSD

Roger Heim est ainsi le premier scientifique de renom à avoir testé, sur lui, l'effet des champignons hallucinogènes ! Les récits de son expédition font les grands titres de la presse française et internationale, dévoilant au grand public les usages ancestraux des champignons "magiques". Au Muséum, Roger Heim étudie le cycle végétatif et la taxonomie des échantillons rapportés du Mexique, qu'il cultive et identifie au genre Psilocybe. Il sollicite alors l'aide d'Albert Hoffmann, des laboratoires pharmaceutiques Sandoz.

Quelques années plus tôt, ce chimiste genevois a découvert le LSD : un dérivé des alcaloïdes de l'ergot de seigle (Claviceps prupurea), un champignon parasite. En 1958, Albert Hoffmann isole les substances actives des Psilocybe mexicana cultivées à Paris. Il en trouve deux, baptisées psilocybine et psilocine, la première étant jugée plus intéressante car plus stable. Espérant qu'elle pourrait avoir un intérêt pharmaceutique, les laboratoires Sandoz en distribuent aux psychiatres et psychologues du monde entier, mais surtout aux Etats-Unis.

Dans ce pays traversé par un vif intérêt pour le "développement personnel" et de nouvelles approches thérapeutiques, les études se multiplient: près d'un millier, sur 40 000 personnes, rien que dans la première moitié des années 1960. Souvent peu rigoureuses, toutes font néanmoins état des effets bénéfiques de la psilocybine et d'autres hallucinogènes, LSD ou MDMA (amphétamine obtenue à partir du sassafras), dans des domaines variés, de la dépression aux addictions sévères en passant par la créativité artistique et la spiritualité ! Des études sont réalisées aussi en France par le psychiatre Jean Delay, qui teste ces substances à l'hôpital Saint-Anne.

Expulsé de Harvard

Mais les dérapages ne tardent pas. En 1963, par exemple, le futur écrivain Timothy Leary (qui travaille sur l'émergence du sentiment mystique) est expulsé de Harvard pour avoir donné de la psilocybine à ses étudiants. L'Amérique prend par ailleurs conscience de la dangerosité des hallucinogènes. "Sans risque auprès d'un thérapeute averti, souligne le psychiatre lyonnais Olivier Chambon, ils peuvent faire vivre des expériences désagréables ou perturbantes lorsqu'ils sont pris sans précautions." De plus en plus d'Américains se retrouvent aux urgences, tandis que la presse rapporte des histoires de personnes se jetant d'une fenêtre parce qu'elles croyaient pouvoir voler.

En 1970, les Etats-Unis interdisent toute consommation de psychotropes hallucinogènes, catégorisant la psilocybine ou le LSD comme des drogues de classe 1, les plus dangereuses, bien qu'elles n'aient pas d'effets toxiques et addictifs avérés. L'OMS leur emboîte le pas peu après. Les recherches sont stoppées net, car les substances psychédéliques sont désormais associées aux crises de démence et à la contre-culture hippie.

Il faudra attendre 1998 pour qu'une découverte réveille l'intérêt chez les scientifiques. Un chercheur zurichois constate alors que l'action de la psilocybine peut être jugulée en bloquant certains récepteurs de la sérotonine, un neurotransmetteur qui régule de nombreuses fonctions physiologiques telles que le rythme circadien, les douleurs et l'anxiété. Cela incite une poignée de psychiatres à jeter un regard neuf et dépassionné sur les anciennes recherches. Ils sont soutenus par des organismes privés comme l'Association pluridisciplinaire pour l'étude des substances psychédéliques (Maps), qui dispose aujourd'hui d'un budget de 1,5 million de dollars et emploie quatorze personnes en Californie.

En 2001, la Maps cofinance ainsi une étude sur la psilocybine à l'université d'Arizona - la première que les autorités américaines autorisent depuis près de trente ans. Elle évalue l'impact de la substance sur les troubles obsessionnels compulsifs. Contrairement aux anciennes recherches, celle-ci est réalisée en double aveugle et contre un placebo. Publiées en 2006, ses conclusions indiquent que les neuf volontaires ont vu leurs troubles diminuer voire disparaître (de 23 à 100 % selon les cas), sans conséquences néfastes si ce n'est une légère hypertension chez l'un deux. Cette même année, une équipe de Harvard annonce d'autres résultats. Ils concernent une maladie rare : l'algie vasculaire de la face, appelée parfois "céphalée suicidaire" tant les douleurs sont insupportables. Les remèdes existants ne fonctionnent que sur 73 % des patients. Or la psilocybine permettrait non seulement de bloquer les attaques (22 sujets sur 29, soit 85 %), mais aussi de retarder leur survenue.

Quand la conscience de soi se dissout

Malgré les difficultés à obtenir autorisations et financements, la communauté des "chercheurs psychédéliques" s’agrandit. Bon nombre s’intéressent aux angoisses des patients en fin de vie, comme les psychiatres de l’université de Californie, à Los Angeles, qui présentent leurs travaux en 2010. Suivies d’une psychothérapie, les doses de psilocybine qu’ils ont administrées à douze personnes atteintes d’un grave cancer ont entraîné une réduction significative de l’anxiété, de un à trois mois après le traitement ; six mois plus tard, leur humeur était bien meilleure et stabilisée. Le nombre de patients est, là encore, trop faible pour tirer des conclusions. En outre, ces études ne font que mesurer l’évolution de paramètres cliniques sans en comprendre les causes.

Il faut dire que la manière dont la psilocybine agit sur notre cerveau n’est toujours pas claire. En 2012, l’imagerie cérébrale a toutefois fourni quelques éléments de réponse et une grande surprise : contrairement à ce que les scientifiques pensaient, elle ne mettrait pas le cerveau en ébullition. Le neuroscientifique Robin Carhart-Harris et son équipe de l’Imperial College de Londres ont observé qu’elle réduisait l’activité neuronale dans certaines parties du cerveau, le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire postérieur en particulier, très densément connectées aux zones sensorielles. C’est grâce à elles que nous avons l’impression que le monde est ordonné, et que se renforce la conscience que nous avons de nous-mêmes.

Robin Carhart-Harris pense que la psilocybine déclenche l’activation d’un groupe de neurones qui inhibe ces parties du cortex. Les zones sensorielles associées deviendraient alors plus autonomes, et la conscience de soi se "dissoudrait".

D’où ces sensations de détachement, de liberté et d’une nouvelle cognition. Cela expliquerait aussi une autre observation des neuro-pharmacologues londoniens : les personnes qui ont absorbé de la psilocybine se souviennent plus facilement d’épisodes liés à des émotions positives. Or, chez une personne déprimée, obnubilée par ses pensées négatives, ces parties du cortex préfrontal et cingulaire sont le siège d’une activité excessive : elles sont hyper-connectées aux zones sensorielles du cerveau. En "déconnectant" ce réseau neuronal, les substances psychédéliques calmeraient les états dépressifs et les crises d’anxiété.

Sûr, efficace, acceptable ?

"Ces substances ont des propriétés remarquables, s’enthousiasme Olivier Chambon. Certes, elles ne sont pas la panacée. Mais les patients qui ne répondent à aucun traitement pourraient, je le pense, bientôt en bénéficier." L’engouement de certains psychiatres se heurte pourtant à une levée de boucliers, notamment dans le monde académique. La psilocybine est-elle sûre, efficace et acceptable ? "Absolument pas, en l’état actuel des choses, répond Michel Lejoyeux, chef du service de Psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat (Paris). On ne saurait prescrire de telles drogues juste parce qu’elles auraient un effet antidépresseur au milieu de beaucoup d’autres. De plus, ce genre de traitement relève de l’emprise psychique ! Il s’inscrit à l’opposé de la démarche psychanalytique, qui vise à accompagner un patient vers une prise de conscience et des améliorations qui soient de son fait, et non à modifier son état de conscience de façon artificielle."

En France, où aucune recherche de ce type n’a été conduite depuis des dizaines d’années, l’hostilité est ainsi très forte. "Pour des raisons historiques et culturelles, les réticences semblent bien plus grandes que dans d’autres pays comme les États-Unis ou la Suisse, explique David Dupuis, anthropologue à l’EHESS, qui étudie les usages contemporains des substances hallucinogènes. On redoute aussi des dérives sectaires impliquant leur utilisation. Ainsi, les travaux de recherche portant sur les hallucinogènes sont parfois disqualifiés en raison même de leur objet. Cette situation est aussi paradoxale que regrettable. Car pour mesurer et prévenir d’éventuels dangers, on a besoin de mieux comprendre le contexte d’utilisation de ces drogues ainsi que leur mode d’action." Quels sont leurs effets sur le long terme ? Le "trip" hallucinatoire joue-t-il un rôle essentiel dans les bienfaits rapportés, ou n’est-il qu’un effet subalterne qui pourrait être évité ? De plus larges études seront nécessaires avant que les "portes de la perception" ne soient poussées officiellement.

NUMÉRIQUE. Cet article de Franck Daninos est extrait de Sciences et Avenir Hors-série de l'automne 2014, actuellement en vente. Le journal est disponible à l'achat en version numérique

 

HYPERCONNECTÉ - Représentation des connexions neuronales sous influence
de champignons hallucinogènes (à droite) et sans (à gauche).
©Petri et al./Proceedings of the Royal Society Interface

 

Comment les champignons hallucinogènes hyperconnectent le cerveau

Par Hugo Jalinière

Sciences & Avenir 3/11/2014



Des chercheurs ont observé à l'IRM les effets des champignons hallucinogènes sur les réseaux de neurones dans le cerveau. L'hyperconnectivité constatée serait semblable à celle qui survient quand on rêve.


NEURONES. Les champignons hallucinogènes provoqueraient une sorte "d’expansion de l’esprit" par hyperconnection des réseaux neuronaux entre eux selon des chercheurs britanniques de la University College London. Un phénomène semblable à celui qui est observé lorsqu’une personne rêve selon eux.
La carte des connexions entre les réseaux neuronaux (image de une) que les scientifiques ont publié mercredi 29 octobre dans le Journal of the Royal Society représente les "méta-réseaux" (des réseaux de réseaux neuronaux) d'une personne à jeun (à gauche) et d'une personne ayant reçu de la psilocybine, le principe actif des champignons hallucinogènes.

Elle a été obtenue en observant grâce à l'imagerie par résonance magnétique (IRM) le cerveau de 15 volontaires auxquels de la psilocybine a été injectée par intraveineuse. Le but de la recherche n'était pas d'étudier les effets sur le cerveau des drogues psychédéliques mais plutôt d'observer les effets d'une altération la conscience.


IMPORTANT. Les champignons hallucinogènes sont des stupéfiants dont la cueillette et la consommation sont strictement interdites. Par ailleurs l'usage de ces psychotropes fait courir un risque de complications psychiques et psychiatriques sévères.

"Expansion de l'esprit"

Les chercheurs ont ainsi constaté une augmentation de l’activité cérébrale dans les zones liées à la pensée émotionnelle, en particulier l’hippocampe et le cortex cingulaire, qui s’activent selon un schéma comparable à celui du rêve selon les chercheurs.

Les auteurs de cette expérience parlent d’un "phénomène d’expansion de l’esprit", avec une mobilisation des régions primitives du cerveau, et d’une voie de recherche sur "les portes de la perception".

La psilocybine, le principe actif des champignons hallucinogènes, peut provoquer des hallucinations visuelles (intensification des couleurs, visions kaléidoscopiques, modification des formes environnantes), auditives (augmentation de l’acuité auditive ou bourdonnement, sifflement), tactiles (augmentation de la sensibilité du toucher) et synesthésiques (les sons sont vus, les images sont entendues ou ressenties). Une altération de la perception du temps et de l’espace (impression de ralentissement du temps) peut également être ressentie.

 

 

© SPUTNIK. ALEXANDER KRYAZHEV

9/2/2016

Le shaman avant le début d’une cérémonie du lever du soleil – «San Salyr».


Chagaa est la fête du Nouvel An lunaire chez les Touvains

qui est célébrée dans la nuit du 8 à 9 février en Sibérie.

 

Lire la suite: http://fr.sputniknews.com/photos/20160209/1021593721/

Chamans-siberie-nouvel-an-lunaire.html#ixzz3zlgC7B7Z

 

 

  L’ART DE RÊVER DE CARLOS CASTANEDA

 

Au delà du récit des visions qu'il procure, voyage halluciné ou transe musicale, quel est donc ce rêve qui donne des pouvoirs ? Quelle en est la nature, ? En quoi diffère-t-il de nos rêves ordinaires ?
Les sociétés chamaniques pratiquaient peu l'écriture. L'Autodafé de Cuzco dura vingt jours, anéantissant les seuls documents qui auraient pu nous éclairer. Grossière fraude selon certains, livres-culte pour d'autres, les récits de l'initiation de Carlos Castaneda par un sorcier Yaqui du Mexique constituent la plus célèbre tentative moderne de description du mystère. Irrationnels, troublants, confus parfois, ils résonnent comme ces rêves auxquels ils se réfèrent sans cesse.
Comme le récit d'un rêve, qui n'engage que ceux qui le font, ils nous demandent de "croire sans croire", de baisser la garde rationaliste que l'on oppose aux propos déroutants, ce que Castaneda lui-même ne cesse de faire avant d'être entraîné dans des mondes improbables. Car là est bien le but de don Juan, le sorcier initiateur. Il s'agit d'entrer à l'intérieur du rêve, afin de visiter le monde-autre, d'en ressortir puissant, libéré des illusions que les perceptions conduisent à prendre pour l'unique réalité alors qu'elle est seulement le fruit de leur consensus. Les hallucinogènes, en modifiant ses perceptions, aident l'apprenti à se débarrasser de son moi dont elles forment la base.
La "marche de pouvoir" et autres exercices servent à parvenir au geste juste de l'artiste martial, à l'attention parfaite et lucide du guerrier impeccable, seul capable de résister au danger des mondes-autres. Parfois plongé en eux par don Juan, qui lui prodigue alors des enseignements dont il reste inconscient, Castaneda acquiert peu à peu le talent de Voir le vivant sous forme d'énergie consciente, boule vibrante de fibres lumineuses dont la fixité du "point d'assemblage" détermine la cohésion de nos perceptions dans l'éveil. De légers flottements de ce point explique la fluctuation et l'étrangeté de nos rêves ordinaires. Passer dans une réalité secondaire implique de le déplacer hors de notre boule énergétique et s'obtient par une maîtrise des rêves que Castaneda met des années à parfaire. Il lui faut sans cesse en cultiver l'intention, non par un effort intellectuel de volonté mais par un "faire sans faire", un silencieux message de détermination qui fait penser aux conseils donnés à ceux qui ont du mal à se souvenir des rêves.
Se présentent alors à lui les Portes de Rêver, qu'il doit franchir une à une.
La première est celle de l'attention. Don Juan invite son disciple à devenir conscient du moment précis où il s'endort, puis à rêver toujours du même décor en essayant de voir ses mains dans son rêve. Afin de ne pas laisser celui-ci passer anarchiquement d'une scène à l'autre, il lui conseille d'observer par de brefs regards indirects chaque objet présent dans le rêve, en revenant chaque fois au premier d'entre eux. Après de longs mois d'échec, Castaneda parvient peu à peu à arrêter le défilé des scènes, ses mains lui apparaissent de plus en plus souvent. Il a atteint la "seconde attention" qui lui procure, en même temps qu'une certaine assurance, de curieuses sensations, comme celle de rouler sur lui-même au moment de l'endormissement, où d'entendre une voix lui enjoignant sans cesse de "regarder les choses" et que don Juan lui conseille de faire taire en hurlant !
Il est devant la seconde Porte, qui consiste à passer d'un rêve à un autre sans sortir de l'état de rêveur, soit en rêvant qu'il s'éveille du premier pour passer dans le second, soit en atteignant celui-ci à partir d'un élément du premier. Les Rêves qu'il fait alors sont habités par des "êtres inorganiques", éléments énergétiques conscients, opaques, en forme de fuseaux, de boules, de cloches ou de tigres à dents de sabre, et irrésistiblement attirés par l'énergie humaine. Les "esprits" du chamanisme primitif ? Don Juan ne donne pas la réponse, mais admet la nécessité de prendre comme allié le premier émissaire envoyé par eux, à condition de rester conscient et maître du contact, qu'il enjoint Castaneda de ne pas prolonger en raison de l'inévitable tribut énergétique exigé en échange des pouvoirs accordés. Fasciné et "accro" au voyage, Castaneda dédaigne ses conseils, s'affaiblissant inexorablement jusqu'au jour où, jouant sur sa pitié pour une fillette prisonnière, les êtres inorganiques réussissent à l'attirer lui aussi tout entier, corps physique inclus. Don Juan et ses partenaires sorciers parviennent à le ramener sur terre. Il met des mois à se remettre du choc d'avoir dû vérifier à ses dépens qu'il ne s'agit pas du monde des rêves ordinaires mais bien d'une autre réalité, ce que don Juan lui répètait depuis le début sans qu'il y croie vraiment.
Il apprend qu'une fois encore il suffit d'exprimer clairement une ferme intention pour que ces êtres le laissent en paix, libre d'accéder au seuil de la troisième Porte, qui consiste à faire fusionner monde du rêve et monde quotidien. Intention, prudence, impeccabilité du guerrier sont plus que jamais nécessaires, et s'acquièrent en rêve par l'observation des détails, sans se laisser absorber par aucun, et dans l'éveil par la récapitulation de toute sa vie. Chaque personne rencontrée, chaque instant vécu depuis son enfance est examiné, d'abord systématiquement puis en laissant son esprit choisir les événements. Aidé par des méthodes respiratoires enseignées par don Juan et par les progrès de sa mémoire obtenus grâce au Rêve, Castaneda se libère ainsi de toute attache affective, de toute charge émotive, et renforce son énergie. Se voir endormi puis stabiliser le point d'assemblage de son corps énergétique dans une nouvelle position constitue l'étape suivante. Il peut alors se déplacer en Voyant l'énergie de tout ce qui l'entoure et  rencontrer d'autres êtres inorganiques, encore plus prédateurs. De Rêveur le sorcier devient Traqueur, car tout en se protégeant il doit extraire de ces mondes l'énergie qui lui permet de Voir que la conscience est un rayonnement énergétique universel, dont il se servira comme d'un filin pour accéder, "avec son corps d'énergie et toute notre réalité physique", aux "autres couches de l'oignon" constituant l'univers. Surviennent alors des voyages fantastiques dont les récits nous laissent pantois, parfois frustrés, volontiers incrédules.
Tout au long de sa formation, Castaneda se fait l'écho de nos doutes sur la réalité de ces mondes. Onirique ne signifie pas irréel, s'acharne à lui expliquer son maître. La maîtrise du rêve ouvre les sens à un autre état de perception, l'attention que l'on y développe permet tous les exploits, et ceux-ci ont lieu dans des mondes aussi vrais que celui que nous offre nos perceptions normales.
 Pour achever l'apprentissage du rêveur, le "défieur de la mort", premier sorcier de la lignée de son maître, incarné en femme, lui indique que s'endormir sur le côté droit, genoux légèrement fléchis, lui procurera lors de l'incorporation du corps énergétique le contrôle parfait de l'immobilisation du point d'assemblage, permettant de passer à un monde Rêvé mais parfaitement réel. L'entraînant dans son propre passé, elle lui ouvre la quatrième Porte de Rêver, qui donne sur d'autres lieux encore, concrets, présents soit dans ce monde soit en dehors, ou dans celui de l'intention d'un autre rêveur. En échange de l'énergie dont elle a besoin pour maintenir son immortalité, elle lui offre la capacité de "voler sur les aile de l'intention", dont, comme des trois Portes suivantes, Castaneda ne dit rien. Voir, Pouvoir, Rêver, les dons sont infinis et les leçons arides. En bon sorcier, en bon praticien du teasing marketing diront les critiques, Castaneda nous laisse ainsi à la fin de chaque livre avec la frustration d'un enseignement inaccessible au commun des mortels, une connaissance partielle apparemment impraticable, et, comme il le dit lui même, le vague "pressentiment que l'incommensurable est à portée de main". A portée de nos rêves ?

(Sylvain Michelet, in Le Livre des rêves, Albin Michel, 2/2000)

 





LES RÊVES CHAMANIQUES

 

Pour les chamanes, le rêve et l'art de rêver sont très importants. Le rêve est une réalité aussi déterminante que notre vie éveillée, et en contrôlant les rêves ils agissent sur la réalité. En fait ils ne font pas de distinction, considérant notre vie comme un rêve que l'on peut modifier. Dans le livre de Carlos Castaneda, L'Art de rêver, Don Juan définit "rêver" comme un passage à l'infinité. Rêver est pour les sorciers une manière pratique de se servir des rêves ordinaires. "Rêver ne peut être qu'une expérience. Rêver ne signifie pas seulement avoir des rêves. Par l'acte de rêver, nous pouvons percevoir d'autres mondes, que nous pouvons assurément décrire. Mais nous ne pouvons pas décrire ce qui nous les rend perceptibles. Néanmoins nous pouvons sentir comment rêver ouvre ces autres royaumes. Rêver semble être une sensation - un processus dans nos corps, une conscience dans nos pensées." Ainsi les chamanes, qui cumulaient plusieurs fonctions, pouvaient utiliser l'état de rêve pour guérir une personne, ou l'exorciser. D'après Jeremy Taylor, il s'agit de ce qu'on appelle le rêve lucide, et le pouvoir de guérison des ces rêves est très puissant. Voici un exemple de rêve chamanique raconté par Jeremy Taylor (cf. Where people fly and water runs uphill, Warner Books). Il fit ce rêve alors qu'il travaillait comme thérapeute auprès de jeunes autistes et schizophrènes :



"Je me retrouve flottant dans un espace flou et gris. Eric, un des jeunes les plus perturbés et les plus violents, apparaît devant moi, riant en roulant les yeux comme quelqu'un de fou. Je le regarde pendant un long moment, puis je commence à voir son aura. Il est d'une drôle de couleur rose et il s'étend autour de lui jusqu'à une distance d'environ 20 pouces. L'aura ondule lentement et change de forme, comme un nuage de gaz. Je remarque qu'il y a d'étranges piquants noirs tout autour de lui. Ils ont à peu près un pied de long et un demi pouce d'épaisseur à leur base, là où ils sont attachés à son corps. Je me sens terriblement fatigué, j'ai envie de dormir. Comme je combat ma fatigue, je me dis qu'il serait absurde de dormir puisque je dors déjà. Je réalise alors que je suis en train de rêver.
Maintenant je regarde Eric plus attentivement. S'agit-il d'une projection de moi-même, d'un aspect de moi ? C'est ce que je pense, mais j'ai pourtant le sentiment qu'il y a plus que cela. Mon épuisement augmente, et mon esprit est confus et lent. Pourquoi mon rêve m'offre-t-il cette image d'Éric couvert de piquants ? Quel est le sens thérapeutique de ce rêve ?
Je réalise que peu importe le sens du rêve, ces piquants ne devraient pas être là. Alors je me dis que quoiqu'ils représentent, je devrais les enlever. Je me déplace vers Eric et je lui dis télépathiquement que je vais "déraciner" les piquants de son aura. Je commence donc à arracher, déraciner les piquants avec mes mains, et déraciner est le terme exact car si je ne fais que les casser j'ai le sentiment qu'ils repousseront . Il faut donc les déraciner pour s'en débarasser.
Je viens à bout d'enlever tous les piquants, et je ressens un immense soulagement. Alors je m'éloigne d'Éric et je quitte le rêve."



Le lendemain matin, alors qu'il n'avait raconté ce rêve à personne, J.T croise Eric qui bondit vers lui, très fâché, et lui crie : "Tu m'as volé quelque chose la nuit dernière !" J. T lui répond que la nuit dernière il dormait dans son lit, mais l'autre insiste : "Tu as enlevé quelque chose de moi ! Rends-le moi !"
J.T lui demanda de quoi il s'agissait. Eric ne pouvait répondre. Alors J.T lui demanda comment il se sentait. Surpris, Eric répondit qu'il se sentait bien. Alors J.T lui dit : "Voilà qui est plutôt inhabituel, n'est-ce pas ? Peut-être que tu ne veux pas vraiment ravoir ce que tu as perdu la nuit dernière ?" Ils se regardèrent un long moment, puis Eric acquiesca.
Voilà une expérience de rêve lucide chamanique qui montre bien comment le chamane peut utiliser l'art de rêver pour accéder à une autre énergie afin modifier la réalité. Ainsi plutôt que de considérer les rêves lucides comme des expériences amusantes, on devrait explorer leur potentiel de guérison, dans la même optique que les chamanes guérisseurs, pour notre bien et le bien de la communauté.

Estelle Melanson-Leblanc




BIBLIOGRAPHIE CHAMANIQUE

 

Le Chamanisme

Ed. Encre, 2009 - 24,90 Euros


Rêve et chamanisme - 30 exercices de développement personnel

Par Océane Allessi-Ravasini

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TarotChaman


Le Tarot du chaman

Pour commander ces ouvrages, aller au site de :

L'ENVOL, COUTUMES ET TRADITIONS ANCESTRALES

La Voie du chamane

Michael Harner

(Traduction inédite de Zéno Bianu, mise à jour par Laurent Huguelit)

Mama Editions, coll. «Chamanismes», 2011
Format : 14 x 22. 264 p.

ISBN 9782845940475
Prix public : 24 €

Le pouvoir de guérison des chamanes est aujourd’hui pris au sérieux par un nombre croissant de professionnels de la santé. Avec ce livre, l’anthropologue Michael Harner nous emmène à la source de la guérison chamanique. Michael Harner a compilé les pratiques chamaniques communes à diverses traditions et mis au point une méthode simple, à la portée de tous, pour en faire l’expérience. Dans un style très vivant et souvent humoristique, il guide pas à pas le lecteur dans des exercices qui permettent d’atteindre un état modifié de conscience sans utilisation de plantes rituelles, avec la seule aide d’un rythme spécifique. La compréhension du voyage chamanique est facilitée par des récits de Michael Harner (comme l’histoire de son initiation à l’ayahuasca chez les Indiens Jivaro, devenue un morceau d’anthologie) aussi bien que de novices racontant leurs expériences lors d’ateliers organisés par l’anthropologue.

 

Psychothérapie et chamanisme - Thérapie de l'âme, voyage dans le monde du rêve

Olivier Chambon
Ed. Vega, 2012. 396 p.
ISBN-13 : 9782858297368
Prix public : 23 €

Quelles conséquences la prise en compte du chamanisme peut avoir sur notre conception de la vie, de la mort, et de l'amour, bref, sur notre spiritualité ? Peut-on rester un "psy de ville" qui ne bat pas le tambour, tout en utilisant le modèle chamanique pour enrichir son éventail conceptuel, technique et relationnel avec ses patients ? Peut-on intégrer les techniques du chamanisme à notre contexte culturel ? Quel est le rôle des chamanes sont-ils vraiment des thérapeutes ? Comment les connaissances et pratiques chamaniques enrichissent, de manière complémentaire et intégrable, les approches psychothérapeutiques classiques occidentales ? Quelles nouvelles approches thérapeutiques "psycho-chamaniques" peuvent naître de ce croisement ? De nombreux cas pratiques et exercices.
Véritable synthèse à la fois de différentes théories (physique quantique, psychologie analytique jungienne, conceptions chamaniques de Castaneda et Harner), mais aussi de différentes expériences pratiques dans le domaine de la psychothérapie et du chamanisme, ce livre ne s'adresse pas qu'au "psychothérapeute spirituel" s'intéressant au chamanisme, mais à tout psychothérapeute voulant enrichir et "animer" le champ de ses interventions.
Il s'adresse aussi aux consommateurs de soins éclairés : pour qu'ils sachent qu'existent d'autres manières de soigner où ils peuvent être pris en charge de façon plus globale, incluant notamment leur dimension spirituelle. Enfin, il intéressera tous ceux qui s'ouvrent au chamanisme et à la façon dont il fait un retour dans notre société et peut l'influencer


Voyage au coeur du chamanisme mexicain

Victor Sanchez

Ed. du Rocher, coll. «Age du Verseau», 1997, 218 p.
Format : 14,1 x 22,5
ISBN-13 : 978-2268027333
Prix public : 20 €

Fruit de longues recherches sur le terrain, ce voyage au coeur du chamanisme mexicain nous fait découvrir les enseignements spirituels des survivants toltèques. L'auteur nous conduit dans les sierras isolées du Mexique où les chamanes tentent par tous les moyens de sauvegarder la tradition.

Ancien élève de Carlos Castaneda, Victor Sánchez est à l'origine d'un courant de pensée qui se définit comme "antianthropologique" et prône le respect des traditions indiennes de l'Amérique. Ses travaux l'ont conduit parmi les descendants des Toltèques, dans les sierras isolées où les chamanes tentent par tous les moyens de sauvegarder la Tradition.

La Récapitulation chamanique - Soigner son passé pour libérer son esprit.
par Victor Manuel Pereda Sanchez, aux éd. du Rocher, février 2004.
Environ 60 €

Alternative au travail de la psychothérapie, la récapitulation chamanique explique concrètement comment restaurer le "corps énergétique" en présentant des techniques visant à évacuer l'énergie étrangère (promesses enfouies, liens avec le passé, etc.) et à se réapproprier l'énergie dissipée.

Les Chamanes, par Piers Vitebsky, éd. Albin Michel.

Abondamment illustré, ce livre nous explique le phénomène complexe et multiforme du chamanisme, que l'on retrouve de la forêt d'Amazonie jusqu'aux neiges de Sibérie.
Il nous introduit dans le monde fascinant des chamanes et présente, grâce à une cartographie détaillée, leur rôle social et religieux dans l'histoire de l'humanité.



 

LIENS & SÉMINAIRES


L'ENVOL, COUTUMES ET TRADITIONS ANCESTRALES

 

Ile de la Réunion

 

Animé par Océane, L'Envol est un centre d'étude, de pratiques techniques, d'arts et de disciplines qui ont pour but de renouer avec d'anciennes pratiques des cultures traditionnelles (amérindiennes, aborigènes, celtiques, indiennes, hawaïennes, etc.)

L'Envol organise régulièrement des séminaires avec des invités de par le monde.

 





PEINTURE CHAMANIQUE



Le Dormeur et le Visiteur Onirique

Patrick Vidal, 1999


Durant le rêve, notre esprit s'envole dans les profondeurs de l'inconscient.
Selon les chamanes, notre âme quitterait alors le corps pour atteindre le monde de l'esprit.
Tous les rêves ne sont pas des expériences extraordinaires. Nombre d'entre eux se rapportent à notre vie quotidienne.
Quelques rêves sont néanmoins très spéciaux et les visiteurs oniriques ne sont pas toujours une illusion...

Pour en savoir davantage, écrire à Patrick Vidal


LES CAPTEURS DE RÊVES

 

 

Le Capteur de rêves de Nick Huard

Cette sculpture, créée par Nick Huard, Indien Micmac, né dans le clan de l'Ours, au Canada, est une oeuvre contemporaine qui s'inscrit dans la tradition de chamanisme de ses ancêtres.
Le capteur de rêves donne le pouvoir au chaman, en Micmac buowin, de plonger dans les rêves d'où est tirée toute révélation.
Les rêves, qui occupaient une place centrale dans l'univers spirituel des Indiens d'Amérique du Nord, étaient le principal procédé de communication avec le monde invisible. Ils jouaient par ailleurs un rôle important dans les préparatifs de la chasse, leur contenu pouvant indiquer les lieux fréquentés par le gibier.
Nick Huard s'inspire des "pièges à rêves" traditionnels des Indiens Cris de la baie James. Surtout destinés aux bébés, ils avaient la forme d'une amulette composée d'un cerceau en bois d'environ dix centimètres recouvert d'un filet disposé en toile d'araignée.
Les capteurs de rêves de l'artiste Micmac sont à suspendre dans une pièce, où il attire les rêves qui circulent. Les bons rêves connaissent la voie et passent à travers l'ouverture du filet pour glisser jusqu'au dormeur qui pourra les poursuivre à son réveil. Les mauvais rêves ne sachant pas où aller s'empêtrent dans le filet, où ils restent prisonniers avant d'être détruits par les tueurs du jour.

Pascal Dibie

in Science et Avenir, Hors-Série, «Le Rêve», 1996.

 

Les capteurs de rêves de Mateo

Modèle 1

Modèle 2

Modèle 3

Cliquer pour agrandir les photos

 

Les attrape-rêves sont fabriqués de manière artisanale
et chaque création est unique
.

L'anneau est tressé à partir d'une puissante liane connue sous le nom de clématite vigne-blanche (Clematis Vitalba). Une plante grimpante de la famille des renonculacées pouvant atteindre jusqu'à 30 mètres de haut.

La toile est tissée, à la demande, soit en fil de lin,
soit en fil de nylon multicolore.

Le diamètre des capteurs de rêves va de 10 à 40 cm.

Pour contacter Mateo via l'association Oniros, s'adresser à Roger Ripert

 

 

 

The Grampians National Park is the richest site for Aboriginal rock art in Victoria

The region has the largest number of rock art sites in Southern Australia and over 80% of Victoria’s rock art sites, some dating back more than 20,000 years.

There are approximately 200 rock art sites recorded in the Grampians National park with five sites open to the public. Most art sites are situated under rock over hangs providing shelter and strategic viewing points of the surrounds.

 

 

 

 

The Rocky Cape area contains many significant Tasmanian Aboriginal sites, dating back thousands of years. Vast cave middens, artifacts and rock shelters reveal much about the lifestyle of coastal Aboriginal people. A strong cultural and spiritual connection to this place continues today, with the Aboriginal  community actively involved in the management of the park.

Le jardin de Mateo - 7/3/2020

Cliquer pour agrandir la photo

Voir aussi l'article de Nathalie St-Pierre :

Capteurs de rêve et roues de la médecine



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