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Par Roger Ripert
Conférence à l'Ile de la Réunion, décembre 2006.
Que dire de la dimension sociale du «rêve», c'est-à-dire de la place qu'occupe cet état de vigilance dans le fonctionnement des sociétés et des cultures ? Un petit rappel historique, distinguant le rêve nocturne et le rêve à caractère chamanique, s'avère ici indispensable. |
Voir aussi le cours n° 14 de la Formation à l'onirologie
Le rêve dans la culture occidentale
Dans notre culture dite «occidentale», tout au moins, sous prétexte de lutte contre le paganisme et l'hérésie, le rêve, qu'il soit nocturne ou d'ordre chamanique (induits par des enthéogènes), a fait l'objet d'une violente répression par les autorités religieuses en place, dès le début du Moyen-Age. Saint Jérôme et le pape Grégoire sont les figures marquantes de cette répression monothéiste obscurantiste qui perdure encore de nos jours. Dans la Vulgate, sa traduction latine de l'Ancien testament, publiée au IV ème siècle et qui fit autorité jusqu'à la fin du XIXème, saint Jérôme n'hésita pas à falsifier le texte original en hébreu en traduisant le mot "anan", qui signifie divination, par "observare somnia", interprétation des rêves, assimilant ainsi l'interprétation des rêves à la sorcellerie. Le premier concile d'Ancyre (314) avait condamné les interprètes de songes à cinq ans de pénitence. Le pape Grégoire les punit de mort au début du VIII ème siècle ! A noter, en France, en droite ligne de cette répression moyenâgeuse, l'abrogation toute récente d'un texte du Code pénal condamnant également les interprètes de rêves, et le rêve du même coup ! Pour compléter le tableau de cette longue période noire de féroce répression, tant du rêve, de ses interprètes que des rêveurs, ajoutons la destruction à la même époque des lieux d'incubation des rêves, tels les temples d'Esculape dans la Grèce antique, et celle des lieux de culte celtiques à caractère chamanique. Il faudra attendre la fin du XIXe et le début du XXe pour que le rêve, avec l'avènement de la société industrielle et de la pensée cartésienne, retrouve une certaine considération sociale, tant à travers les mouvements littéraires, tels le romantisme et le surréalisme, qu'au plan de la recherche expérimentale, par la mise en évidence de l'état de rêve, et de la thérapie, via le mouvement psychanalytique, notamment. Pour autant, notre société occidentale n'a guère changé depuis le Moyen-Age dans son attitude vis-à-vis du rêve et des autres états de conscience dont elle a décidé globalement de se couper. Pourquoi tant de haine à l'égard du rêve et des rêveurs ? "Penser à une chose, c'est y rêver", a martelé Léon d'Hervey de Saint-Denys, pionnier français du rêve lucide.
Partant de là, le point de vue libertaire à l'égard de nos rêves — et de notre imaginaire en général — ne cadre plus avec celui des systèmes de croyances figés et uniformes vis-à-vis desquels il entre alors en conflit. Par leur répression du rêve qui, paradoxalement, constitue leur fondement, les religions monothéistes entendent bien ainsi garder la main mise sur la direction intérieure de notre société, c'est-à-dire celle de nos consciences. De même, notre société industrielle et matérialiste actuelle, qui modèle à l'extérieur nos comportements, voit dans le vrai rêve une source potentielle de contestation de son fonctionnement capitaliste axé sur la production et la consommation de biens matériels dont elle se charge elle-même de faire la propagande. Comme elle le dit si bien : «Faut pas rêver !» Entendez par là, vous ne devez pas rêver par vous-même et suivre vos propres rêves. Nous nous chargeons de fabriquer les rêves artificiels qu'une publicité tapageuse vous poussera sans cesse à consommer. Et si le bien-être ne va pas de pair malgré tout avec ces rêves artificiels, qu'à cela ne tienne : la société machiniste vous amènera aussi à consommer, de gré ou de force, somnifères, tranquillisants et neuroleptiques, toutes ces substances anti-rêve d'une camisole pharmaceutico-chimique qui vous empêchera purement et simplement de rêver ! Partant de là, il est clair que le rêve, au sens noble et naturel du terme, ne peut guère avoir de place dans notre société occidentale en ce début de XXIème siècle. Quant aux rêveurs et aux onirologues, ceux qui osent encore librement les raconter, les partager, les induire, les étudier et/ou les interpréter, ils ne sont en fait qu'une infime minorité d'individus, mal considérés, porteurs d'une image négative qui mêle au sourire méprisant la suspicion sectaire. Deux exemples pour illustrer ces propos. — La place du rêve chez les Français
Faute de connaître le contenu des rêves des Français — une recherche objective menée par l'analyse quantitative des rêves pourrait pourtant nous apporter facilement une réponse — l'étude sociologique menée par les Duvignaud à la fin des années 70 nous éclaire néanmoins, en partie, sur les rapports qu'ils entretiennent avec le rêve (La banque des rêves - Essai d'anthropologie du rêveur contemporain, Payot, 1979). |
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Le rêve dans les cultures pro-rêve
Avant qu'elles ne soient en grande partie décimées par la société occidentale et ses religions monothéistes, la plupart des cultures dites primitives accordaient au rêve (nocturne ou chamanique) une place centrale dans leur fonctionnement social. Une approche ethonologique détaillée n'a pas sa place ici, mais pour les personnes intéressées, je les renvoie notamment à l'ouvrage de Geza Roheim, à visée psychanalytique, ou à celui de Michel Perrin sur les Guajiros. A titre d'exemple, j'aimerais néanmoins vous dire quelques mots sur certains de ces "peuples du rêve", davantage étudiés que les autres et répartis sur trois continents : les Iroquois d'Amérique du Nord, les Senoï de Malaisie et les aborigènes d'Australie.
Les Iroquois
«Les Iroquois n’ont, à proprement parler, qu’une seule divinité — le rêve», écrit le Père Frémin en 1669. Il ajoute : «C’est à lui qu’ils font soumission et ils suivent ses ordres avec la plus grande exactitude (...) Quoi qu’ils pensent avoir fait en rêve, ils se croient absolument obligés de l’exécuter au plus tôt.» Approche freudienne s'il en est, "En plus des désirs que nous avons généralement, qui sont libres ou au moins volontaires, ils croient que notre âme at d'autres désirs, qui sont innés et cachés, et que notre âme fait connaître ces désirs naturels par le moyen des rêves qui sont son langage" (rapporté par le père jésuite Ragueneau en 1649). Pour eux, de tels désirs doivent trouver un accomplissement, sinon l’âme affamée se retournera contre le corps et le rendra malade, parfois jusqu’à la mort. En outre, les Iroquois accordent attention aux éléments prémonitoires présents dans les rêves. Ils y trouvent aussi «l’accès à une haute source de sagesse». Lorsque le rêveur rencontre des êtres surréels, esprits guides, animaux de pouvoir, ancêtres, etc., toute la communauté doit l’aider à interpréter correctement leur message. Comme le note Patricia Garfield dans son premier ouvrage, "La Créativité onirique", où elle nous invite à tirer parti des enseignements des Rêveurs amérindiens, "Toutes les tribus amérindiennesont attribué au rêve une importance existentielle particulière". — Les Senoï de MalaisieVoir aussi le cours n° 12 de la Formation à l'onirologie (Le questionnaire senoï)
Un autre «peuple du rêve» a défrayé la chronique onirologique et la querelle a son propos rebondit de façon régulière. — Les Aborigènes d'AustralieVoir aussi Le Temps du rêve
La population indigène d’Australie semble occuper ce continent depuis 50 000 ans environ. C’est une des plus primitives du monde, mais son organisation sociale n'en demeure pas moins très élaborée : un chef dirige la vie quotidienne mais il est soumis à l’autorité du Conseil des Anciens, qui peut lui-même faire appel - si nécessaire - à l’Assemblée populaire, où tous les hommes ont un droit égal de décision. Le nomadisme Avant l’arrivée des Européens, toutes les tribus australiennes étaient du type chasseurs/cueilleurs. A la saison sèche (novembre-décembre), de grands rassemblements avaient lieu autour des point d’eau. Le reste de l’année, on se dispersait en petits groupes et l’on déambulait sur d’immenses territoires semi-désertiques, le bush, à la recherche de nourriture. Les relations avec le monde moderne En 1967, les Aborigènes sont enfin autorisés à sortir de leurs réserves et à circuler sur leurs propres terres; ils deviennent des citoyens australiens à part entière, ayant droit de vote. Depuis 1976, le gouvernement encourage l’autogestion des réserves et mène même une politique de restitution des terres et d’indemnisation. Ce sont les Aborigènes eux-mêmes qui ont choisi le terme «The Dreaming» ou simplement «Dreaming» en tant qu’équivalent le plus proche du concept indigène alcheringa utilisé par les Arunta (la tribu des Aranda localisé près d’Alice Springs dans le Territoire du Nord) ou celui de jukurrpa utilisé par la plupart des tribus du désert central et occidental, la tribu des Warlpiri notamment. |
ALCHERINGA 2000 : LE RÊVE PLANÉTAIRERêver pour la Terre : le rêve planétaire du solstice d'hiver 1990
Sur la base du premier Rêve mondial organisé en 1982 par l'Américain Bill Stimson, à simple vocation planétaire, l'association Oniros a organisé en 1990 un nouveau rêve à cette échelle, avec cette fois un contenu précis d'induction : rêver ensemble pour la Terre. Un cauchemar planétaire qui, 15 ans plus tard, faute de réelle prise en compte (les solutions avancées par les participants au Rêve planétaire montraient pourtant le chemin), est devenu aujourd'hui, pour chacun d'entre nous, une réalité tangible. Comme le dit à juste titre l'astrophysicien Hubert Reeves, dans une récente dépêche de l'agence AFP datée du 27 oct. 2005, à Montréal, c'est la survie de l'espèce humaine qui est en cause :
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Voir aussi Le Chamanisme
Le chamanisme, au sens étroit du terme, est une religion primitive qui s'enracine dans les régions septentrionales de l'Empire russe et aux zones adjacentes, telles la Laponie et la Mongolie. Il a été observé dans les régions du centre de l'Asie et de la Sibérie, en Laponie et chez les Eskimo (ou Inuit), au Népal et au Tibet et dans l'Amérique indienne. Tout le monde s'accorde sur ce point : "chamane" viendrait de "çaman", mot de la langue des Toungouses (appelés maintenant Evenks), ethnie du groupe linguistique mongol disséminée dans toute le Sibérie orientale, jusqu'en Chine. La capacité pour l'être humain de transcender son environnement diurne et d'accéder au monde de l'esprit, existe dans toutes les sociétés cultivant l'idée d'une réalité à plusieurs niveaux de conscience, différents mais perméables. Qu'il s'agisse du rêve nocturne ou du rêve induit à l'état de veille par la transe extatique. Qualifié de "praticien du rêve" par l'ethnologue Michel Perrin, le chamane utilise le rythme, la danse et les substances psychotropes pour obtenir la transe et les rêves qui lui permettent d'accéder au monde des esprits, source de son rôle social et terrain de son action. Intercédant auprès des esprits, le chamane est à la fois sage et guérisseur, et son rôle social consiste à réguler les relations entre le groupe social et son environnement, au sens large du terme, tant extérieur qu'intérieur. Pour illustrer de manière vivante ces propos introductifs, je ne vous parlerai pas davantage des Toungouses (si ce n'est de l'Amanita muscaria !) mais de ma propre expérience en matière de chamanisme, suite à mon rencontre, fin 1969, de la célèbre curandera (guérisseuse) mazatèque : Maria Sabina.
Chamanisme et plantes psychoactivesA l’instar du rêve nocturne, nombre de substances hallucinogènes ou psychoactives, principalement issues du monde végétal, ont de tout temps et dans toutes les cultures conduit l’homme à la découverte et à l’exploration de son univers intérieur. Comme le rêve nocturne, elles demeurent plus ou moins sacralisées ou frappées d’interdits. Une même démarcation fondée sur les statuts accordés aux mondes intérieur et extérieur oppose aujourd’hui de manière radicale les cultures chamaniques à la culture occidentale. A l’opposé de notre culture matérialiste tournée vers l’extérieur, où la transe psychédélique comme le rêve et l’imaginaire en général se voient dévalorisés et marginalisés, dans les cultures chamaniques (encore proches de la nature) les principales plantes à propriétés psychotropes, telles que le Peyotl ou les champignons hallucinogènes, font partie intégrante de la vie sociale et religieuse par l’intermédiaire des chamanes-guérisseurs. S’opposant à la thèse défendue par Mircea Eliade, l’Américain Terence McKenna soutient l’idée émise par R. Gordon Wasson selon laquelle «la présence dans une culture chamanique d’une substance hallucinogène est la marque d’une culture authentique et vivante alors que sa phase décadente se caractérise par des rituels élaborés, des épreuves et la dépendance à l’égard de personnalités pathologiques («Hallucinogenic Mushrooms and Evolution», Revision, vol. 10 n° 4, printemps 1988)». En effet, comment une culture dite chamanique pourrait-elle être «authentique et vivante» sans une étroite et véritable communion de l’homme avec son environnement «naturel» ? Est-il étonnant, par exemple, que la grande tentative de retour à la «nature» qui marqua le mouvement psychédélique et communautaire des années 60 se soit accompagné à la fois de la redécouverte des substances hallucinogènes et de la naissance du mouvement écologique. Certains eurent la chance d’y rencontrer une curandera, telle la célèbre Maria Sabina, même si, en période sèche, les Teonanacatl (littéralement, la chair de Dieu), liés au culte de Tlaloc, divinité de la foudre et des eaux, ne furent pas toujours au rendez-vous des «voyageurs» qui souhaitaient les «faire parler»... Toujours bien vivant chez nombre de tribus amérindiennes du sud du Mexique, le culte des champignons remonterait au moins jusqu’au XIIIe siècle av. J.-C., comme l’atteste une étude monographique des champignons de pierre réalisée par St. F. Borhegyi (cf. R. Heim, Champignons toxiques et hallucinogènes) et il aurait été associé au pratiques hiératiques des Mayas, comme semble le prouver la découverte dans la région de Vera Cruz d’une terre cuite fort ancienne, d’origine totonaque, représentant un champignon sur lequel une femme pose une main tandis que l’autre bras levé paraît invoqué les dieux. Indissociable de son biotope (la forêt ou la prairie) et de son partenaire symbiotique (l’arbre ou la vache), le champignon hallucinogène — archétype de la substance psychoactive —, apparaît ainsi pour Terence McKenna comme une sorte de lux natura, une conscience/lucidité unissant l’homme à la nature dans une relation symbiotique de dépendance mutuelle et de bénéfices partagés. Rapport entre le rêve et la transe psychédéliqueLes effets induits par la psilocine et la psilocybine, principes actifs des champignons hallucinogènes, diffèrent peu de ceux que provoque le fameux LSD-25. Fruit de l’analyse de multiples séances à caractère thérapeutique, une cartographie détaillée des diverses expériences induites par cette substance chimique — abstraites, esthétiques, psychodynamiques, périnatales ou transpersonnelles —, a été dressée par le Dr Stanislav Grof dans son ouvrage Royaumes de l’inconscient humain. Le rêve d’incubation, tel qu’on l’induisait dans les temples d’Esculape ou la cérémonie du velada pratiquée par Maria Sabina sont révélateurs à cet égard de l’importance du cadre et de la préparation du «voyage», qu’il soit onirique ou psychédélique. La «résonnance» est un autre phénomène notoire commun à ces deux types d’expérience intérieure. Dans le rêve nocturne, elle se manifeste souvent par un vécu composite lié à la chaîne des associations d’idées et des sentiments qui les accompagnent, et, dans l’expérience psychédélique, par une extrême richesse des perceptions et une créativité inhabituelle. Si le rêve lucide et la transe psychédélique ont l’«éveil» (la lucidité) pour point commun, celui-ci diffère néanmoins du fait de la nature des états de vigilance dans lesquels il survient (intériorité dans l’état de rêve et extériorité dans l’état de veille).
Le néo-chamanisme aujourd'huiComme nous l'avons dans la première partie de mon exposé : faute d'une réelle prise en compte des états de conscience liés au Rêve, la société industrielle nous mène bel et bien à une catastrophe écologique planétaire. Certes, un mouvement altermondialiste a vu le jour, mais sans un fondement religieux impliquant, à mon sens, un retour au chamanisme primitif, ce mouvement risque fort de perdre la partie dans cette course contre la montre pour notre survie... Comme le propose l'ESCS — l'Eglise Suisse du Champignon Sacré—, un ré-alignement urgent à la Nature, à Gaïa, la Terre-Mère, semble bien s'avérer indispensable via un retour au Rêve, à la Nature et aux pratiques chamaniques. Je cite (avec quelques modifications personnelles) :
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Dreamers United welcomes anything that can help to bring dreamers together,
and eventually promote dreaming as a mainstream activity.
Les Rêveurs Unis accueille tout ce qui peut aider à rassembler les rêveurs
et, si possible, promouvoir le rêve en tant qu'activité principale
Here are a few suggestions • Dream art. Harry Bosma runs the site in dutch, english and german
Nota bene (Roger Ripert) : ce site n'est plus actif depuis le 20/10/2010.
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Par Karine Sahakyan